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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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jusqu'aux intestins, il avait
reconnu les chancres qui r e montaient
dans leurs jambes. Il avait vu enfin les amibes les dévorer,
le spirochète, et tous ces parasites redo u tables
qui stagnent dans l'humidité et la profondeur des marais et de
la mangrove. Et il avait pu découvrir de ses propres yeux
l'effroyable travail de mort de l'horrible mouche dague. La fameuse
mouche Luc i lia
Homini Vore
dont parlaient
avec terreur tous ses confrères de la c o loniale.
La Lucilia, d'apparence
inoffe n sive,
sans dard ni venin. On n'avait aucune raison de s'en méfier.
Pou r tant
c'était elle la pire d'entre toutes et la mort qu'elle
promettait était l'une des plus atroces qui soient. Sans
qu'ils y prennent garde, quand les bagnards s'effondraient épuisés
après des heures de labeur, elle s'intr o duisait
dans le nez ou dans les oreilles, elle y pondait ses œufs et
les y abandonnait. Tout c e la
en un temps si bref qu'on ne s'apercevait de rien. Puis les œufs
se développaient et les dédales des sinus du nez et du
tympan devenaient des ruches protégées où les
larves se métamorph o saient
bien à l'abri. Des milliers de larves remontaient et
grouillaient jusqu'aux abords du cerveau, rongeant et provoquant une
méningoc é phalite
qui emportait le malade en quelques jours dans des souffrances
abominables. Deux bagnards en étaient atteints. On les avait
mis à l'écart au pied d'un arbre et ils se tordaient de
douleur, la tête dans les mains. Le médecin n'avait rien
pu faire, pas même les soul a ger.
Il ne disposait de toute façon que de quelques cachets
inefficaces pour une pareille douleur, et de quelques pans e ments.
Face à ces milliers de bacilles, de crachats, de matières
fécales, de parasites et insectes microscopiques qui
att a quaient
les corps de toutes parts, lui, le médecin, ne pouvait rien.
Il n'avait que son savoir consciencieusement acquis à l'école
de Santé n a vale
de Rochefort. Celle qui formait les médecins de la coloniale
militaire. Hélas, si ce savoir lui permettait de déceler
l'origine des m a ladies,
il ne lui permettait pas de les soigner. Encore moins de les gu é rir.
Alors, lui qui avait tant cru dans le pouvoir de la médecine,
il s'était senti in u tile,
misérable. Il avait fait les pansements, donné les
cachets, mais devant ces hommes qui pou r rissaient
littéralement sur place et qu'il aurait fallu avoir le courage
de tuer pour alléger leurs souffrances,
il avait pleuré. De lourdes larmes d'impuissance. Puis il
était rentré, anéanti. Il avait couru à
la villa du directeur, avait dénoncé les abominables
cond i tions
des bagnards du camp de Charvein, et il avait compris une chose : son
témoignage ne changerait rien. Le dire c teur
savait déjà. En fait, tout le monde savait . Même Pierre Villeneuve, le médecin-chef. Mais,
contrairement à l'indifférence de tous les autres, lui
seul partagea sa sou f france
et son désarroi.
    — Je
comprends, lui avait-il dit Quand on arrive ici on pense avoir à
lutter contre de redoutables adversaires tapis dans la jungle qu'on
éliminerait d'un coup de fusil, mais on se trompe. Les pires
ennemis sont ces milliers d'insectes inv i sibles.
Une marée d'insectes puissants qu'on ne connaît pas et
contre les piqûres desquels on n'a aucun r e mède.
Quand la pénitentiaire e n voie
volontairement les hommes dans la jungle, on sait tous ici qu'ils ne
reviendront pas.
    — Mais
comment ça ? Alors on les envoie à la mort ? Sciemment
? Mais ils ne sont pas condamnés à mort ! Comment
po u vez-vous...
    — On
ne s'y fait jamais. Mais on reste parce qu'on sauve ceux qu'on peut
sauver. On est l'espoir, le seul avec l'év a sion
dont ils rêvent tous. C'est toujours ça. Et puis parfois
on y arrive, on les sauve. Il y a to u jours
des choses à faire.
    Le
médecin essuya ses larmes d'un revers de manche.
    — Je
me demande bien quoi...
    Le
docteur Villeneuve savait que la seule façon de tenir, c'était
de ne pas s'attarder. Il avait un long séjour derrière
lui. Les autres re s taient
en poste deux ans, trois parfois, mais r a rement
plus. Or ici plus qu'ailleurs, et même s'ils parv e naient
rarement à guérir les malades, leur présence
était capitale. Il fallait r e donner
du courage à son jeune confrère, et ça tombait
bien, une sœur était venue lui demander de l'aide pour
une d é tenue
:
    — Écoute,
dit-il, tu n'as pas pu soigner les bagnards de Charvein, mais tu peux
encore sauver une vie. File au carbet des

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