La Dernière Bagnarde
brièveté.
— Allez-y
!
Ils s'approchèrent de
Louise. Elle n 'avait
pas entendu l'échange entre le
surveillant et sœur Agnès ,
mais elle avait
assez d intuition pour comprendre que cet homme
au visage dur serait son véritable bourreau.
Louise avait rarement eu peur dans sa vie. Son physique s o lide
et son tempérament énergique lui
avaient permis de passer au tr a vers
de bien des choses, mais
face au regard
de cet homme, elle vaci l la.
Elle pressentait le pire
comme un animal pressent la mort pr o chaine.
Une main prit alors la sienne. — N'aie pas peur, Louise, je
suis là. On est là. Ce
fut tout ce que Marie eut le temps de dire,
c 'était
d é jà
trop tard. Les méthodes des hommes de la pénitentiaire
de Guyane étaient radicales. Leur brutalité fut
immédiate et sans mesure. Ils a t trapèrent
Louise et repoussèrent Marie qu'ils envoyèrent valser
quelques mètres plus loin. Et ils cognèrent. Sans
prévenir. Louise s'a f faissa
sous la violence inimaginable du premier coup. Ils la traînèrent
e n suite
au sol dans la poussi ère, sans
le moindre égard ni la moindre émotion,
comme on traîne le cadavre d'un chien dont on veut se
déba r rasser.
Dans l'invraisemblable violence de cette scène une évidence
sautait aux yeux : ces hommes régnaient ici en maîtres,
ils étaient a s surés
d'impunité. Personne ne pourrait agir sinon d'une façon
aussi meurtrière au vu et au su de tous. La barbarie, ici,
était admise. Quand Marie se releva,
horrifiée, elle découvrit la traînée de
sang qui s'allo n geait
sur la terre poussiéreuse de la rue au fur et à mesure qu'ils
e m portaient
Louise. Bientôt disparurent de r rière un
bâtiment
Sœur
Agnès était pétrifiée. La
mère supérieure avait assisté
à la scène de loin,
sans bien
en comprendre l e sens.
Au tout début, au vu des gest i culations,
elle avait pensé que le surveillant en chef rabrouait sœur Agnès,
et elle n'avait pas été m é contente
de voir que celle-ci se faisait remettre à sa
place par une autre autorité que la sienne. Bien que très
déstabilisée par les derniers événements,
elle n'en oubliait pas pour a u tant
ses rancœurs contre la jeune sœur. Mais quand le coup fut
porté à Louise
et qu'elle la vit s'effo n drer,
elle en perdit la respiration. Même à la
distance à laquelle
elle se trouvait elle avait ressenti l'i n croyable
vi o lence
du gardien et il fallut d'interminables secondes pour que l'air
revienne à nouveau
dans ses poumons et qu'elle puisse r e joindre
sœur Agnès.
— Seigneur
! s'écria-t-elle, essoufflée, en accourant. Mais qu'y
a-t-il ? Que s'est-il passé ?
— Rien
qui vous regarde, la coupa le surveillant en chef. Occupez-vous des
autres et rentrez-les au plus vite.
Quand
la mère Supérieure comprit que cet ordre lui était
adressé, elle releva la tête. Un visage arrogant apparut
dans l'ovale de sa co r nette
blanche, et elle en décela immédiatement toute la
férocité. Pou r tant
elle s'avança sans la moindre peur ni la moindre hésit a tion.
Pour
ces dernières heures, elle avait eu son compte de désillusions
et de mépris. Le directeur de Saint-Laurent venait de lui
faire faux bond et, malgré l'épuisement qui la
fragilisait aussi, Mlle Adrienne de Gerde avait encore suffisamment
de re s sources
pour ne plus laisser la moindre place à la violence de qui que
ce fut. Fût-il l'homme le plus dangereux.
— Regardez
au-dessus de vous, mon fils, dit-elle de cette voix si f flante
qu'elle prenait quand elle venait de subir une grande contrariété.
— Oui,
fit-il, cynique, en levant la tête. Je r e garde.
Et alors ?
— Là-haut,
Dieu vois tout, et où que vous soyez il est toujours au dessus
de vous. Ici je Le représente et donc tout me regarde..
Écoutez bien ce que je vous dis, tout, absol u ment
tout.
Le
surveillant en chef ne répondit pas, mais la mère
supérieure vit un sourire carnassier fendre le bas de son
visage maigre. Et elle co m prit
qu'elle était face à un véritable préd a teur.
Un des plus monstrueux qui puissent exister sur cette terre. Un fou.
— Sachez
aussi, ajouta-t-elle comme galvanisée par le da n ger,
que ce Dieu demande des comptes à
tous ses enfants. Vous lui en rendrez donc, mon fils !
Et
sur ces derniers mots, les femmes ayant terminé
de prendre leurs
trousseaux, elle leur donna l'ordre
de se diriger
vers le carbet qu'on leur avait
assigné et s' éloigna, entraînant
sœur Agnès.
Le surveillant
en chef n'avait pas bougé
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