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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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devait
rendre des comptes sur ces rations de nourriture qu'elle avait
signalées défaillantes. Un comble ! Et voilà
maintenant que ce méd e cin
lui affirmait que sa plainte ne servirait à rien. Co m ment
les règles qui régissent toute société
digne de ce nom po u vaient-elles
n'avoir ici aucune valeur ? Il y avait pourtant des b â timents
administratifs, une mairie, un palais de justice, un directeur, des
surveillants, des hommes de loi. Toute une hi é rarchie
de représentants de l'ordre. Il allait falloir qu'ils fassent
leur tr a vail.
Elle n'abdiquerait pas.
    — Ma
plainte ne servira à rien, dites-vous ? Ça
m'étonnerait. Si le directeur ne veut pas se montrer
responsable vis-à-vis des hommes, il le sera de toute façon
aux yeux de Dieu. Et Lui ne pardonnera pas. Il l'e n verra
en enfer !
    Le
médecin n'en revenait pas d'entendre pareil discours... Dieu !
Sa justice. Son pardon. Il se demanda si la mère supérieure
parlait série u sement.
    — En
enfer ? répondit-il, l'air désolé. Mais vous savez, ma sœur, le gouvern eur
y est déjà. Et nous aussi.
    Elle
se redressa. Comment ce médecin osait-il comparer le mis é rable
monde terrestre avec les forces d i vines
?
    — L'enfer
sur terre n'a rien à voir avec le châtiment du ciel, mon
fils. Quoi que décide le directeur, je vous dis que cet
Is i dore
paiera.
    En
entendant prononcer ce nom, le médecin fronça les
sou r cils.
    — Isidore
?
    — Oui,
c'est lui qui est venu encadrer les détenues. Vous le
co n naissez
?
    — Décidément,
soupira le médecin, les hommes de la pénitentiaire sont
les plus vicieux que j'aie jamais co n nus.
    — Pourquoi
dites -vous cela
?
    — Parce
que, pour débarquer vos prisonnières, ils vous ont
envoyé le Chacal.
    — Le
Chacal ?
    — Oui.
Isidore Hespel, dit le Chacal. Un ancien bagnard libéré
qui sert de surveillant et est aussi à l'occasion le bourreau
du bagne. Le plus meu r trier.
Chacun fait sa loi à Saint-Laurent-du-Maroni, mais de tous ces
hommes, le pire et le plus dangereux, c'est lui. Le Ch a cal
ne tue pas. Il assassine.
    Marie
écoutait cet étonnant dialogue, pétrifiée.
Quel était ce monde où on l'avait envoyée, et
pourquoi ? Qu'avait-elle fait de si terrible ? Pourquoi ? Pourquoi
elle ? Qu'allait-elle devenir ? Malgré tout, la pr é sence
de ce médecin la rassurait quelque peu. Il l'avait guérie,
il était bon. Il les protégerait.
    Marie
se trompait. Le jeune médecin quitta Saint-Laurent-du-Maroni à
la fin du mois suivant. Il l'avait sauvée mais voulait en
finir avec l'enfer de Guyane. Il décida de partir sur cette
réu s site
avant de ne pouvoir oublier le reste, avant que quelque chose
l'atteigne au plus profond. Malgré tout ce qu'il avait vécu
et vu en si peu de temps il se sentait e n core
capable de croire en l'humanité. Il était jeune, de
retour en France il se marierait, aurait des enfants. Et il voulait
pouvoir leur dire sans mentir combien la vie sur terre peut être
belle. Il voulait co n tinuer
de croire en la médecine. Le docteur Villeneuve comprit sa
d e mande
et l'accepta. Il y avait à La Rochelle un autre jeune médecin
en attente et qui, au dire de son ami Mayeux. piaffait d'impatience
de pa r tir.
La relève était là, mais pour combien de temps
encore ? À l'âge où l'on regarde les jeunes
filles plus que jamais, quel autre jeune homme serait assez
inconscient pour venir dans cet enfer soigner des b a gnards,
et risquer d'y laisser sa peau ?

17 Juillet
1889, un an plus tard
    Quand
elle entendit résonner au loin la corne du navire qui
empo r tait
son sauveur, Marie leva la tête et posa la veste qu'elle
cousait sur ses genoux. Un effroyable sentiment de solitude l'envahit
comme chaque fois que le navire arrivait ou repartait. Ce navire
était le seul lien de Saint-Laurent avec l'autre monde. Celui
d'avant le bagne, quand elle pouvait aller librement ou bon lui
semblait. Les mois étaient passés et la vie de Marie
devenait chaque jour plus rude. Elle qui n'avait pourtant jamais été
gâtée n'aurait pas pu imaginer l'exi s tence
d'un tel enfer. Enfermée avec les autres du soir au matin dans
le carbet, un hangar de bois et de tôles nauséabond et
insalubre, qui était désormais leur unique lieu de vie,
et leur servait à la fois de dortoir, de salle de travail et
de salle de r e pos,
elle s'arrachait la peau des mains à coudre
des uni-formes de b a gnards
en grosse toile et se torturait pour essayer de comprendre ce qui lui
était arrivé.

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