Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
Vom Netzwerk:
rencontré toutes celles qui avaient été
« recrutées » dans tous les coins des ca m pagnes
de France pour être expédiées, comme elle, à la
relégation. Partout les représentants de la
pénite n tiaire
avaient obtempéré. Et du jour au lendemain, de
citoyenne fra n çaise
Marie était devenue une « reléguée ».
La deuxième fois, elle avait demandé au fonctionnaire
de police qui l'inscrivait sur ses no u veaux
papiers ce que cela voulait dire. Il lui avait répondu que
cela s i gnifiait
purement et simplement que son pays ne voulait plus d'elle.
    Marie
avait a peine plus de vingt ans, aucune famille, pas même une
connaissance tant soit peu avertie pour
l'aider à comprendre
ce qui se passait. Elle ne fréque n tait
que des filles et des garçons de ferme, placés à gauche
a droite, démunis et incultes comme elle. Alors elle avait
suivi les gendarmes et fait ce qu'on lui avait dit. Maintenant, elle était au bagne. Impossible de faire
marche arrière.
    L'air
était moite et lourd. La pluie tombait. Comme toujours. Elle
inondait le sol qui ruisselait en permanence de filets d'eaux
boueuses, elle dégoulinait des arbres de la forêt, elle
faisait un bruit incessant, usant comme une to r ture.
    Marie
n'en pouvait plus de l'entendre, elle avait le sentiment que cette
pluie la pénétrait et qu'elle emportait ses forces et
sa vie comme elle e m portait
dans son ruissellement tout le sel de la terre. Une corne de brume se
fit entendre. Marie tourna la tête dans la direction du fleuve.
Elle pensa que le navire qui allait accoster et dont elle ente n dait
mugir la corne grave allait débarquer un nouvel arrivage de
b a gnards.
De fait, elle n'en s a vait
rien mais elle l'imaginait juste parce que c'était logique.
Personne ne débarquait à Saint-Laurent
pour le plaisir... Ici on respirait un air étouffant sur une
bande de terre humide et brûlante, boueuse et poussiéreuse,
entre une jungle envahi s sante
et un fleuve marron. À part le bagne et les bagnards, et du
peu qu'elle en avait vu lors de leur arr i vée,
il n'y avait rien de plus dans ce coin de Guyane.
    En
une année elle n'en avait pas appris davantage. De cinq heures
du matin, heure du lever, à six heures du soir, heure du
coucher, sa vie se réduisait à l'espace humide et
infect du carbet. De la Guyane elle ne voyait qu'une bande de ciel et
la cime verte d'une forêt au loin par-delà l'enceinte
paillassée qui entourait le carbet. Les seuls échos
qu'elle avait du monde e x térieur
venaient de ce qu'en disaient les sœurs qui, comme elles,
vivaient et dormaient là, et n'en sortaient que pour régler
les affaires courantes. Elles s'étaient fait un espace
jouxtant c e lui
des détenues dans le carbet et elles l'avaient délimité
par une simple clo i son
de paille qui laissait passer la moindre de leurs conversations.
M a rie,
comme les autres, savait tout de leurs inquiétudes, de leurs
colères et même de leur désarroi quand elles
chuchotaient, pensant ne pas être ente n dues.
    Mais
ces échos sur le monde extérieur n'étaient que
des bribes. Il était surtout question de changer de lieu, de
trouver un bâtiment. Il y avait eu plusieurs espoirs, toujours
déçus, et d'après ce qu'en compr e nait
Marie, cela semblait bien compromis. La mère supérieure
entrait dans de grosses colères, elle harcelait le directeur
de Saint-Laurent et écrivait
sans cesse des lettres à sa hiérarchie en France. Mais
rien ne cha n geait.
    — Aucun
courrier pour moi ? demandait-elle à sœur Agnès
après chaque passage du navire.
    — Aucun,
ma mère, répondait inlassablement sœur Agnès.
    Alors
la mère supérieure éclatait de rage. Puis, par
la force des choses, n'ayant aucun interlocuteur, elle se calmait.
Sœur Agnès et elle parlaient alors d'autre chose.
D'approvisionnement, de difficultés à o b tenir
les matières pour le travail, des machines à coudre qui
ne v e naient
pas, des denrées qui disp a raissaient
et aussi de cette pluie qui tombait sans cesse, de cette humidité
de l'air, des chaleurs. Elles étou f faient.
    Même
les sœurs étaient isolées, oubliées,
livrées à elles-mêmes
et elles devaient se battre pour obtenir la moindre chose. Elles
n'avaient jamais la quantité de nourriture qu'on leur
promettait et on les sou p çonnait
d'en détourner. Marie les entendait qui faisaient et
r e faisaient
des calculs pour prouver leur bonne foi.
    Pour
le reste des habitants de Saint-Laurent, Marie n'en savait pas plus.
Accaparées

Weitere Kostenlose Bücher