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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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manquait rien. Elle parla d'une traite, sans
s'arrêter, avec une fébrilité qui la surprit elle-même.
Lui la regardait avec étonn e ment et gentillesse,
intrigué de cette longue tirade. Mais il ne
fit a u cune
remarque et répondit à toutes
ses interrogations comme si cela eût été la chose
la plus naturelle que d'expliquer à une
inconnue, fut -elle la
mère supérieure de la
prison dont il aurait la charge, le détail de sa situation
pe r sonnelle.
    Il
n'y avait chez Romain Gilot aucune méfiance, aucune
a r rière-pensée.
Elle le sentit. Il arrivait
avec une mission et un idéal, et il po r tait
sur sa jeune figure la clarté de ceux
qui n'ont jamais trahi. Elle s'a t tacha à lui
immédiatement, à la
première rencontre. Il aurait pu être l'enfant de
Charles qu'elle aurait tant rêvé d'avoir. Elle
se contrôla
pourtant, se reprit aussi vite qu'elle s'était enthousiasmée,
et lui fit vis i ter
les lieux.
    Le
tour fut rapide. Il vit les détenues une à une,
et soigna du mieux qu'il put celles qui en avaient besoin. Au moment
de partir, il lui co n fia
ses a p préhensions
et ses espoirs :
    — Je
n'en reviens pas, ma mère, qu'on vous laisse dans un endroit
pareil. Personne ne peut rester en bonne santé dans ce hangar
pourri. C'est infesté de microbes et de champignons. Je ne
suis pas surpris qu'il y ait
eu tant de décès, et ça ne s'arrêtera pas
tout seul. J'en parl e rai,
ma mère, je vous promets de le s i gnaler,
par écrit c'est plus sûr, et je suis étonné
que cela n'ait pas été déjà fait. Vous
sortirez de là !
    Il
était ému et plein de conviction. Fallait-il qu'il soit
jeune pour être aussi naïf. Car il l'était, elle
n'en doutait pas, tout comme elle ne doutait pas de sa réelle
émotion et de sa sinc é rité.
Comment aurait-il pu croire que son administration ne faisait rien,
tout en sachant qu'il y avait
là des femmes enta s sées
pourrissant comme de la vermine ? Il était réellement
pe r suadé
que personne n'avait averti les services. La mère sup é rieure
n'essaya pas de le détromper, elle ne lui parla de rien. Elle
le remercia et le regarda s'éloigner dans la rue poussi é reuse,
avec son
cou trop fin de jeune homme, et sa lourde serviette de cuir noir
pe n dant
au bout de son bras.
    Toutes
les personnes qu'il rencontra par la suite firent comme la mère
supérieure. Le docteur Villeneuve, qui l'écouta avec
attention r a conter
sa visite, le directeur de la pénitentiaire qui le reçut,
lut sa lettre et rassura après avoir pris le temps de
l'entendre que tout allait s'arra n ger
bientôt, qu'il avait bien fait de venir. Bien que tous
différents de morale et d'engag e ment,
ils se turent tous pour la même raison. Aucun ne voulait être celui qui créerait la première
fêlure dans son entho u siasme,
car ils étaient tous sous le charme de cette fraîcheur
qu'il a p portait
dans ses bagages. Il avait dans les yeux une lumière qu'ils ne
croisaient plus et ils ne tenaient pas à ce qu'elle
s'év a nouisse.
Chacun se souvenait peut-être du jeune homme qu'il avait été.
    Et
puis, Romain Gilot aurait bien le temps de comprendre tout seul où
il était tombé.

26
    Ce
soir-là, dans la minuscule chambre qui lui était
réservée à l'hôp i tal
de Saint-Laurent, R o main
enleva sa veste de coton clair et desserra le lien de sa cravate
étroite avec le sentiment d'avoir bien travaillé. Il
avait fait le tour de son secteur et re n contré
les responsables les plus importants. Il avait parlé et se
sentait compris. Pareille naïveté pourrait passer pour de
l'i n conscience,
voire de la bêtise, mais elle n'en était pas. Romain
Gilot venait de cette province profonde où l'on vit dans le
calme des petites villes protégé par des cultures
fam i liales
où les seuls tourments ne sont que quelques déchirements
bien dérisoires au regard des drames violents de l'Histoire.
Une mort lente à quelques mètres seulement de leurs
propres villas ? Romain Gilot n'était pas naïf,
si m plement
il n'était pas d é senchanté.
Il croyait aux vertus intrinsèques du devoir et de la morale
qui façonnent les hommes à jamais. Il croyait à celles
conjuguées de la culture et de la civilisation. Par sa fenêtre
o u verte
sur la jungle, il regardait la lune éclairer la cime des
arbres de ce pays avec l'étonn e ment
de ceux qui découvrent le monde sauvage.
Des cris aigus parvenaient de la forêt. Il savait que ces cris
de singes rouges pouvaient être confondus avec des

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