La Dernière Bagnarde
pas pousser. À eu x
de se débrouiller
!
— Ça
ne doit pas être simple.
— Et
pourquoi ça le serait ? On ne m'a jamais
rien offert à moi. Qui sait ? J'aurais peut -être
dû faire des conneries,
tuer, voler. Après quoi on m'aurait
offert une
femme et une propri é té.
Romain
avait compris qu'il faisait fausse route.
La grogne
couvait dans le petit personnel du
bagne. Sous-payés,
souvent seuls car ils n'avaient pas les moyens de faire venir leur
famille et de l'inst aller
dans de
bonnes conditions comme c'était le cas
pour la hiérarchie
qui bénéficiait de villas et de personnel, ils
r e frénaient
leur rancœur.
— Je
comprends, avait tempéré Romain. Mais une parcelle,
c'est un drôle de cadeau. Les arbres font trente mètres
de haut, et pour les arr a cher
à la main, seul
avec une femme, il doit falloir s'accrocher.
De plus, ça m'étonnerait qu'on puisse cultiver quelque chose dans ce
pays, avec ces eaux diluviennes...
— Figurez-vous
que nous avons eu des résultats. Certains y pa r viennent.
Mais il y a des tas de
fainéants vous
savez. Et
s i
en plus maintenant on leur
apporte des
femmes sur un pl a teau...
Vous savez ce que
ça coûte
à la France, tous ces tran s ports
? Et
tout ça pour les
pires criminels qui soient ! On nous
prend pour des
andouilles. Ma femme m'a écrit, chez nous ça co m mence
à grogner. Les députés demandent des comptes,
ils se sont ape r çus
que des sommes astronomiques sont envoyées ici. Tout ça
pour offrir un paradis à des
fainéants ! Des cr i minels
!
L'employé
était visiblement très remonté. Pourtant Romain
avait cru bon de rectifier son discours.
— Des
sommes astronomiques ? Ah bon ? Et où sont-elles passées
? Dans mon service médical je ne vois pas la couleur de cet
argent ; quant au paradis dont vous parlez, vous savez bien que ce
n'est pas vrai. Ces bât i ments
sont infâmes, bâtis par les bagnards eux-mêmes, et
les femmes n'avaient même pas de quoi se loger en arrivant.
— Peut-être.
Mais l'argent va bien quelque part.
— Peut-être
dans vos services ?
C'était
la chose à ne pas dire. L'employé avait manqué
s'étrangler.
— Vous
voulez rire ? Vous voulez voir ma fiche de paye ? Mon ami Justin a
même été obligé d'emprunter de l'argent à
un bagnard, un lib é ré.
Et il faudrait les plaindre ?
— Comment
cela, emprunter à un bagnard? Et
d'où
il tenait cet argent ce bagnard ?
— Devinez
! Ce n'est pas la morale qui les étouffe, ils se débroui l lent.
Ils font des trafics au vu et au su de tous. On les laisse faire
leurs saletés. Pour eux, tout est permis. Et nous qui avons une moralité,
nous nous faisons avoir. Si je faisais le quart de ce qu'ils font, on
m'a u rait
déjà coupé la tête. Tiens! Ça
donnerait presque envie de devenir un cr i minel.
— Vous
n'exagérez pas un peu ?
— Pas
du tout. Tenez, par exemple, ces femmes
qui sont arrivées pour faire de jolies familles avec enfants
et tout le ti n touin.
Eh bien les lascars ont vite compris le bénéfice qu'ils
pouvaient en tirer. Ça n'a pas traîné. Ils les
ont mises au turbin. Rema r quez,
ces femmes, chez nous, c'étaient déjà des
traînées. Il ne fallait pas en attendre des miracles.
Romain tombait des nues.
— De
quoi parlez-vous ?
— D'où
vous sortez, vous ? Les bagnards libérés se marient
avec des femmes et font semblant de travailler sur la fameuse
concession offerte, une semaine après ils revendent leur
terrain à des indigènes et ils reviennent en ville. Là,
ils mettent leur femme au turbin, chez le Chinois et ailleurs. Le
plus vieux métier du monde, ça rapporte to u jours,
ils ne savent faire que ça. Tant qu'ils s'arrangeaient entre
hommes avec leurs gigolos on ne leur donnait rien. Pas de lopin de
terre pour deux tantouzes ! Maintenant, ils gagnent le gros lot deux
fois. En revendant la parcelle, puis en faisant travailler la femme.
Pas fous. Charlie, par exemple, c'est un spécialiste. Il a
fait le coup deux fois. On ne sait pas où est pa s sée
sa première femme, et tout le monde s'en moque.
L'employé
s'était enflammé. Romain en avait conclu qu'il
cherchait à nuire aux bagnards sur lesquels se reportait sa
ra n cœur.
Il n'avait pas cru à son histoire. C'était trop gros.
La France était bonne poire, mais tout
de même ! Il y avait des personnes bien intentionnées
parmi le personnel de l'administration pénitentiaire, et
personne ne pourrait admettre un pareil tr a fic
Romain avait pu constater qu'à
Weitere Kostenlose Bücher