La Fausta
n’insiste pas pour le connaître ; vous cachez votre visage sous un masque, et il me convient de respecter jusqu’à nouvel ordre votre volonté de me demeurer inconnu. Il est vrai que j’ai un espoir : c’est de savoir qui vous êtes quand vous m’aurez couché sur la chaussée ; du moins votre écuyer m’a-t-il laissé entendre la chose. Mais enfin, ne pourrais-je savoir pourquoi vous me voulez occire ?
Tout en parlant, il cherchait à étudier l’inconnu ; mais il faisait à peine petit jour ; non seulement son adversaire portait un masque, mais son feutre ombrageait son front.
Pardaillan espérait le reconnaître à la voix mais l’inconnu, à son discours, ne répondit qu’en tirant sa rapière. Le chevalier salua et dégaina aussitôt.
— Monsieur, reprit-il, avant d’engager les fers, je vous prie de remarquer que j’ai toutes les raisons possibles de demeurer caché dans Paris ; malgré cela, je n’ai pas hésité à me rendre à votre invitation. En outre, j’ai été dérangé de mon somme, ce qui va me mettre de méchante humeur pour toute la journée. Contre tant de déférence que je vous témoigne, vous pourriez me rendre un service. Je ne vous connais pas du tout. Et vous me connaissez trop, vous. Pourriez-vous me dire comment et par qui vous avez su que je passais cette nuit à la
Devinière
? Je sais bien que vous comptez me coucher proprement sur cette chaussée ; mais si mon étoile voulait que je ne sois pas tout à fait tué par vous, j’aurais un intérêt énorme à savoir comment et par qui ma retraite fut connue. Voulez-vous me le dire ?…
Pour toute réponse, l’inconnu tomba en garde.
— Vous n’êtes pas galant, monsieur, dit Pardaillan, et à mon grand regret, je vais être obligé de vous arracher votre masque pour savoir ce que j’ai à savoir. Défendez-vous donc bien… défendez votre visage… je vous promets de ne pas tirer ailleurs qu’au masque.
Depuis quelques instants, les épées étaient engagées ; dans la rue silencieuse et obscure, sous le regard pâle des dernières étoiles qui s’éteignaient, les deux ombres agiles qui s’attaquaient apparaissaient seules, et le cliquetis des fers troublait seul le silence.
Dès le premier engagement, Pardaillan eut un moment de surprise : il s’était battu cent fois peut-être, il connaissait les plus fines lames du royaume, il avait dans la main les passes les plus difficiles et, cette fois, il trouvait un redoutable adversaire. Jamais il n’avait rencontré poignet plus souple et plus ferme, rapière plus vivante, pointe plus menaçante. Il essaye de faire rompre l’inconnu.
Celui-ci demeura ferme, cloué sur place, les épaules effacées, n’offrant aucune prise, le bras pour ainsi dire immobile mais la main vivante d’une vie prodigieuse. Soudain, ce bras se détendit comme un ressort, et ce fut Pardaillan qui dut faire un bond en arrière…
— Mes compliments, dit le chevalier, avec un coup pareil, vous aviez toutes les chances de me tuer… toutes, moins une. C’est justement cette une qui me sauve !
A son tour, il attaqua, et peut-être, avec sa science consommée de l’escrime, trouva-t-il à diverses reprises l’occasion de toucher son adversaire à la poitrine. Mais Pardaillan avait dit qu’il ne toucherait qu’au visage, et, avec ses idées spéciales, il se fût déshonoré à ses propres yeux s’il n’avait tenu parole.
Maintenant le jour grandissait. Quelques fenêtres commençaient à s’ouvrir. Des têtes curieuses se penchèrent pour assister à ce duel, sans trop d’effarement d’ailleurs, car il était tout simple que deux gentilshommes, après avoir passé la nuit dans quelque cabaret mal famé, en fussent venus aux mains pour les beaux yeux de quelque donzelle sans doute. Tout à coup, ces spectateurs tressaillirent ; l’un des deux combattants venait de jeter un cri terrible, le cri de l’homme blessé à mort… Pourtant aucun des deux adversaires ne tombait !…
Celui qui avait poussé ce cri, c’était l’inconnu. Pardaillan, après une série d’attaques combinées avec un art supérieur, l’avait touché au front… La pointe avait traversé le masque et, dans le retrait du bras, ce masque arraché était demeuré fixé au bout de sa rapière.
— Une femme ! fit Pardaillan stupéfait.
Et il abaissa aussitôt la pointe de sa rapière. Le masque noir glissa sur la chaussée. Pardaillan le considéra quelques instants, pensif, puis,
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