La Fausta
vêtue de ses habits pontificaux, longue robe d’une éclatante blancheur, dont la traîne à borderies d’or bouillonnait jusqu’au pied de l’estrade comme des vagues d’écume où étincelle de soleil en paillettes fulgurantes, manteau de velours blanc, où chatoyait la broderie des deux clés symboliques, le front ceint de la tiare d’or surmontée d’une croix faite de rubis monstrueux qui jetaient ses feux funèbres, les pieds posés sur un vaste coussin de satin blanc, Fausta drapée avec une admirable entente de l’harmonie dans ce costume d’une grandiose opulence, Fausta sculpturale, hiératique, éclatante de majesté dans la pompe de ce décor énigmatique, Fausta dont les cheveux se déroulaient sous la mitre en torsade d’ébène, Fausta dont le visage fatal s’illuminait du rayon funeste de ses yeux noirs, Fausta entourée de quatre porte-éventails qui inclinaient sur sa tête les touffes blanches de leurs plumes vaporeuses, tandis qu’au pied de l’estrade six robes rouges de cardinaux, douze robes violettes d’évêques s’alignaient dans une immobilité de saints de cathédrale, tandis qu’à droite et à gauche de la salle le double rang d’hommes d’armes couverts d’acier et appuyés sur les hallebardes semblait un alignement de cariatides étincelantes, Fausta, dans ce décor inouï de majesté, de force et de gloire, apparaissait comme l’idéale expression de la souveraineté pontificale.
Papesse !…
Elle était la Papesse formidable et glorieuse qui daignait, dans cette lueur confuse des candélabres, dans ce demi-jour propice aux visions de rêve, se montrer en toute sa splendeur. Une quarantaine de gentilshommes, tous debout, le chapeau bas, se tenaient en arrière de son trône. Et il régnait sur cette assemblée un silence terrible…
Ni le chant des orgues, ni la voix des trompettes, ni la psalmodie des prières n’animaient cette scène étrange. Il semblait que c’était là un conclave de fantômes qui sortis un instant de l’ombre allaient rentrer dans la nuit du néant.
C’était magnifique et c’était effroyable.
Farnèse et Claude, pétrifiés, haletants, contemplaient cette vision apparue derrière l’épaisse grille, comme ils eussent regardé ces images imprécises et flottantes que la fièvre présente aux yeux vacillants des mourants…
Soudain, la statue blanche, la magique évocation de souveraineté pontificale, Fausta s’anima… Son regard se tourna vers l’un des six cardinaux rangés au pied de l’estrade, et elle fit un geste de sa main pâle où rutilait l’anneau, le symbolique anneau pareil à celui que Sixte-Quint portait à son doigt.
Claude chancelant saisit la main de Farnèse… Farnèse remarqua alors que le cardinal à qui Fausta avait fait un signe tenait un papier. Cet homme s’avança de quelques pas, s’agenouilla devant Fausta, se prosterna, puis, se relevant, se tourna vers la grille face aux deux prisonniers. Et il prononça :
— Etes-vous Jean Farnèse, évêque de Parme, cardinal, lié à nous par le traité accepté et signé par vous devant le conclave réuni dans les Catacombes de Rome ? Etes-vous Jean Farnèse ?…
Le prince Farnèse releva sa tête glaciale et répondit :
— Je suis celui que vous dites, cardinal Rovenni… Que me voulez-vous ?…
Celui qui s’appelait cardinal Rovenni se tourna vers Claude et dit :
— Etes-vous maître Claude, bourgeois, ancien bourreau juré de Paris ? Etes-vous Claude qui avez accepté les fonctions de bourreau dans notre association ? Etes-vous le bourreau lié à nous par le traité que vous avez signé et remis aux mains de Jean Farnèse, cardinal ?
— Je le suis ! répondit sourdement Claude.
La voix du cardinal Rovenni se fit plus solennelle et plus grave :
— Cardinal Farnèse et vous maître Claude, écoutez. Vous êtes tous deux accusés de crimes capitaux contre la sûreté de notre association sacrée. Ces crimes ont été exposés devant notre tribunal secret qui les a jugés en toute conscience et souveraine justice. Le cardinal Lenaccia a rempli les fonctions d’accusateur et développé les actes, pensées et tentatives subversives qui vous sont reprochés. Les cardinaux Corso et Grimaldi, présents ici, ont, selon nos statuts, présenté la défense de chacun des accusés et essayé d’attirer sur eux la miséricorde du tribunal. Tout s’est donc passé selon les règles de justice indiquées au chapitre dix-huitième des
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