La Fausta
d’un pareil rempart, je crois que je pourrai un peu donner du fil à retordre à messieurs de la messe. Voyez-vous, Huguette, j’ai toujours dit que le jour où je ferais le grand saut dans l’inconnu je me ferais royalement escorter. Regardez moi ces machicoulis et ces meurtrières et ces… Tiens, murmura-t-il en se retournant vers l’hôtesse, elle pleure !… C’est vrai… je n’y pensais plus, moi, que ma mort lui ferait un gros chagrin… Quel butor je suis de parler de tout cela !… Huguette ! Huguette, ma chère Huguette, vous voyez bien que j’exagère…
Sous son tablier, Huguette secoua sa tête désespérée.
— Voyons, reprit Pardaillan désolé, ils en auront pour une heure à démolir tout cela… Pendant cette heure-là, nous allons essayer de battre en retraite, nous trouverons bien un moyen, cornes du diable !
Pardaillan savait parfaitement qu’il n’y avait aucun moyen de fuir. Toutes les issues de la maison, même celle d’un corridor qui contournait la cuisine, s’ouvraient sur la rue Saint-Denis.
Or, la rue Saint-Denis était remplie de gens d’armes dont on entendait cliqueter les piques et d’une foule furieuse dont on entendait les hurlements.
Pardaillan prit les mains de l’hôtesse et la força de se lever. Elle laissa retomber son tablier et montra son joli visage pâle de douleur et inondé de larmes.
— Voyons, fit le chevalier, il faut chercher un recoin où vous puissiez vous cacher, tandis que je tiendrai tête à ces furieux. Car je crois ne rien vous apprendre, Huguette, en vous disant que cette fuite dont je vous parlais serait bien difficile.
— Impossible ! balbutia Huguette avec un sanglot.
— Vous voyez bien qu’il faut vous cacher… votre cave, par exemple… Ce n’est qu’à moi qu’ils en veulent, et moi pris…
Huguette frissonna.
— Moi pris, ils n’auront pas l’idée de pousser plus loin les recherches. Venez, ma chère, venez… ce silence relatif qui se fait dans la rue ne m’annonce rien de bon…
— Vous pris ! murmura Huguette. Vous mort, que deviendrai-je, moi ?…
Elle reposa sur la poitrine du chevalier sa tête charmante que l’amour transfigurait.
Au dehors, dans ce silence relatif qu’avait signalé Pardaillan et qui était sinistre comme ces sournoises accalmies de tempêtes qui semblent ne s’arrêter un instant que pour ramasser leurs forces dévastatrices, dans ce calme, donc, une voix dure retentissait :
— Ici, ces poutres !… Les arquebusiers, là sur deux rangs ! Et apprêtez vos armes ! Ici, les hallebardiers ! et là, les archers !… Attention !…
— Pardaillan, dit Huguette très doucement, laissez-moi mourir avec vous, puisque je n’ai pu vivre avec vous. Mon pauvre cœur, depuis des années, porte votre image et votre souvenir. Je n’espérais pas votre amour. Je savais que vous aviez donné toute votre pensée à une autre. Je savais aussi qu’un cœur tel que le vôtre forge des tendresses que la mort même est impuissante à attaquer. Je savais que vous adoriez Loïse morte comme vous l’aviez aimée vivante. Oh ! non, je n’espérais rien… Seulement, quand vous étiez-là, je vous regardais, et cela suffisait. C’était ma part de bonheur, humble part, mais cela m’ensoleillait l’âme. Quand vous n’étiez pas là, je vous attendais. Que d’heures j’ai passées sur ce perron à guetter votre retour ! Car je savais bien que si loin que vous eussent porté votre désespoir, votre amour ou vos haines, si longtemps que vous fussiez absent, je vous verrais un jour mettre pied à terre devant ce perron, et me sourire de votre bon sourire qui contient tout ce que vous pouviez me donner. Je me disais : « Il pense à la bonne hôtesse. Il sait qu’ici il trouvera toujours un réconfort et une consolation… » Et je vivais ainsi dans une pensée très douce qui n’était pas de l’espoir, qui n’était pas de la douleur, et où il y avait seulement, tout au fond de moi-même, une joie à songer que nulle femme au monde ne saurait comme moi pleurer avec vous sur Loïse morte, et refléter en bonheur vos moments de sourire…
Au dehors, la voix dure et brève continuait à donner des ordres pour l’attaque.
Pardaillan tout pâle écoutait, non cette voix qui disposait tout pour le tuer, mais la voix brisée de larmes qui lui rapportait le premier aveu d’un amour qu’il connaissait depuis de longues années.
Huguette, elle, n’écoutait que son cœur, son
Weitere Kostenlose Bücher