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La Femme Celte

La Femme Celte

Titel: La Femme Celte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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Carnac, lieu qui servit de sanctuaire depuis la plus
lointaine préhistoire. Si au XVII e  siècle,
la tradition locale prétendait qu’il avait existé à Keranna une chapelle dédiée
à sainte Anne, c’est que la tradition, qui ne ment jamais mais transpose et
parfois christianise, a gardé le souvenir d’une réalité. Et comme le culte de
sainte Anne n’est pas très ancien, il faut admettre qu’il y a eu superposition
de personnages, sainte Anne ( Santez Anna en
breton) prenant normalement la place d’Ana. Les exemples de christianisation de
ce genre ne manquent pas, ne serait-ce que le culte de saint Kornely succédant
à celui de Kernunnos, de saint Césaire à celui de César, de saint Mars à celui
de Mars, à travers le souvenir de l’authentique saint Martin.
    Mais c’est dans la tradition galloise que la superposition apparaît
le plus clairement. Une généalogie conservée dans le manuscrit Harleian 3859,
et qui date du X e  siècle, donne pour ancêtre
à Owen, fils du législateur Howell Dda, un certain Aballac « fils
d’Amalech qui fut le fils du grand Beli, et dont la mère, Anne, fut cousine
germaine ( sic ) de la Vierge Marie, mère de
Notre-Seigneur Jésus-Christ [197] . » Dans une autre
généalogie de la même époque, on trouve également toute une lignée qui descend
« d’Aballach fils de Beli et Anna [198]  ». Il est assez
surprenant de voir Anna considérée comme épouse de Beli le Grand, personnage
mythologique en qui l’on peut reconnaître le gaulois Belenos, et aussi de lui
donner comme fils Aballach ou Évallach, qui est le nom du Roi Méhaigné dans la Queste du Saint-Graal , et qui, dans la tradition
galloise, est d’ailleurs le père de Modron-Morgane (son nom même est éponyme de
l’île d’Avalon). Il est non moins remarquable de constater qu’Anna est l’épouse
d’un roi breton, dans la tradition insulaire, alors qu’une légende armoricaine
répandue autour du sanctuaire de Sainte-Anne-la-Palud, en fait précisément
l’épouse d’un roi breton cruel et méchant. Et par là, la légende d’Anna rejoint
la légende d’Ys, puisque cette même tradition ajoute que lorsque le roi Gradlon
eut échappé aux flots qui venaient d’engloutir la ville d’Ys, il décida de
faire construire une chapelle à l’endroit où il aborda la terre ferme, sur la
grève de Sainte-Anne-la-Palud [199] .
    Il nous reste à savoir pourquoi, en territoire celtique, le
personnage d’Anna, personnage de la tradition judéo-chrétienne, s’est installé
comme en pays conquis. On doit se rappeler que le groupe ANA est une racine
indo-européenne désignant la respiration, le souffle, et par conséquent
l’esprit [200] . Mais ce groupe
évoquait bien autre chose pour les Celtes : il suffit de se rapporter à la
ressemblance entre Anna ou Ana et le mot breton-armoricain anaon (ou anaoun )
qui signifie « les trépassés ». Cette ressemblance n’est pas
seulement superficielle. En effet, le mot « haleine » se dit en
breton-armoricain anal ou alan et est le résultat de la métathèse du
moyen-breton anazl en alazn . Or le mot anazl se
retrouve, avec la même signification, en cornique ( anal ),
en gallois ( anadl ), en irlandais ( anail ou anal ),
tous ces mots provenant d’un celtique * analla .
Et à cette même racine, nous devons rattacher le breton-armoricain ené , âme ( eneff en
moyen-breton et enyd en gallois) dont le
correspondant irlandais est anam ( anim en vieil irlandais).
    Ainsi donc, Anaon pourrait
signifier tout aussi bien « les trépassés, les âmes », que
« peuple d’Ana [201]  » : les Anaon seraient ni plus ni moins les Tuatha Dé Danann
irlandais, les gens de la déesse Anna, ceux qui habitent sous les tertres, dans
les cimetières, ainsi que dans les îles perdues dans l’océan. Ce sont les gens
de l’Autre Monde. Or il est curieux de constater qu’en gallois, l’Autre Monde,
l’Abîme, les Enfers, peuvent se traduire par le terme Annwfn ou Annwyn où
nous retrouvons la même racine. Et l’on sait que Pwyll, le mari de Rhiannon,
est surnommé, après son voyage dans l’Autre Monde, Pwyll Penn Annwfn (Pwyll,
maître des Enfers). Encore une coïncidence, bien sûr, mais qui vient s’ajouter
aux autres. Pourquoi, alors, ne pas considérer Rhiannon comme une * regena-ana-ona , c’est-à-dire comme une Reine des Trépassés , une Reine
des Enfers , en même temps que la Reine Anna ,
celle qui veille sur les morts et protège

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