La Femme Celte
les mythes n’est jamais absolu : si tout est dit, il n’en
reste pas moins qu’il faut comprendre. À la fin de la magnifique épopée
irlandaise de la Courtise d’Étaine [99] ,
lorsque le roi Éochaid veut retrouver sa femme Étaine ravie – mais consentante,
ce qui change tout – par le dieu Mider, lequel l’a emmenée dans l’univers
merveilleux du sidh , il ordonne de creuser sous
tous les tertres d’Irlande. Mais par suite d’une ruse de Mider, il ne récupère
pas sa femme, seulement une autre qui a pris le visage d’Étaine. Cette
conclusion est significative. L’homme, le mâle, une fois qu’il a perdu la
femme, commence à comprendre ce qu’elle était et ce qu’elle représentait. Trop
tard, malheureusement, car maintenant, d’autres images s’interposent entre le
Réel objectif et l’homme « La vérité est dans un va-et-vient entre ceux
qui la disent » (Jacques Lacan) et il est bien difficile de la saisir.
Peut-être la solution réside-t-elle dans la redécouverte du langage du début , « structure première de
l’inconscient » (Jean Lacroix). Mais cette structure première, où se
trouve-t-elle exactement ? Sous les flots de la Mer, la Ville d’Ys est
toujours là, avec sa princesse engloutie : celui qui le premier, le jour
de la surrection d’Ys, entendra sonner la cloche, celui-là possédera le royaume
dans sa totalité, et Dahud-Ahès de surcroît. Mais où se trouve la réelle ville d’Ys ? En dessus ou en
dessous ? Quand on regarde le reflet d’une ville ou d’une forêt sur les
eaux d’un lac, d’un fleuve ou d’une mer, est-on jamais sûr que la réalité se
trouve du côté où l’on regarde ? Si le mythe de la Princesse Engloutie
jette une certaine suspicion sur le rapport établi depuis des siècles quant à
l’opposition de mors et Vita , en vertu du fait
qu’il illustre l’angoisse des zones frontières entre le rêve et la réalité,
l’état de veille, on est en droit de se demander s’il ne signifie pas non plus
l’impuissance de l’homme à choisir. Et dans son imagination frelatée par des siècles
de structures aberrantes parce qu’uniquement formulées au nom de la masculinité,
la Princesse, qu’il a consciemment refoulée dans les bas-fonds de son
inconscient, revient plus belle et plus forte que jamais dans l’image d’une
Déesse qu’il n’aurait jamais dû cesser d’adorer.
CHAPITRE II
-
Notre-Dame de la Nuit
Il apparaît nettement que toutes les religions du monde ont
présenté des déesses à l’adoration des fidèles, et il est probable que dans les
temps les plus lointains, ces déesses occupaient la première place en tant que
Terre-Mère, Eau-Mère, puis en tant que Mères des dieux et des hommes.
L’histoire des déesses est parallèle à celle du rôle de la Femme dans les
sociétés anciennes : à mesure que les sociétés abandonnaient leur organisation,
disons gynécocratique pour éviter le mot matriarcat qui ne signifie rien et
surtout dont on ne sait rien, les cultes féminins devenaient masculins. Pas
entièrement cependant : « les grandes époques patriarcales conservent
dans leur mythologie le souvenir d’un temps où les femmes occupaient une
situation très haute » (Simone de Beauvoir) ; « à l’époque
historique on observe, notamment dans l’Inde et dans l’Iran, les restes d’une
ancienne religion qui paraît avoir été, dans son principe, en relation avec des
institutions gynécocratiques [100] ». C’est ainsi que
d’après le Rig-Veda indien, Aditi (Ardvi dans
l’ Avesta iranien) est la Grande-Déesse qui est
en même temps le nom d’un fleuve mythique d’où surgissent toutes les eaux de la
terre. C’est ainsi que le culte indien de la déesse Kâli, la dévoreuse, mais
aussi la Pourvoyeuse, est d’origine pré-indo-européenne, remontant au moins à
3 000 ans av. J.-C. C’est ainsi, également, que la Bible hébraïque se
fait l’écho des luttes perpétuelles entreprises par les sectateurs du Dieu-Lune
Iaweh contre les « hérésies » des fidèles de la Grande-Déesse sémite,
probablement l’Ischtar babylonienne.
Il en a été de même dans la religion druidique qui ne fait
pas exception à la règle. Comme dans toutes les mythologies, on y trouve des
traces d’une déesse-mère. Comme dans toutes les religions, on y trouve des
cultes féminins et des images de déesses en grand nombre, et cela tant sur les
monuments figurés de l’époque romaine en
Weitere Kostenlose Bücher