La Femme Celte
un grand nombre de démons qui sont ses serviteurs. » C’est
encore l’une des îles du Nord du monde d’où viennent, d’après les textes
irlandais, les Tuatha Dé Danann, et où ils ont appris « la science, la
magie, le druidisme, la sagesse et l’art ».
Il est intéressant de constater que, s’il faut en croire Plutarque,
Kronos se trouve endormi sur cette île.
N’oublions pas que Kronos, l’ancien Dieu-Père, a été destitué par son fils
Zeus, et châtré par lui. Or Arthur a été blessé par son propre fils incestueux
Mordret, et l’on sait que la blessure en général, pour un roi, signifie en
réalité « blessure infamante et qui ne permet plus de régner », donc
blessure cause d’impuissance sexuelle, comme chez le Roi-Pêcheur Pellès dans la
légende du Graal. Le fait que Kronos soit endormi, de même qu’Arthur est en
état de dormition en attendant de revenir, nous indique qu’il s’agit d’une
équivalence sommeil-mort élargie dans un sens nettement psychanalytique :
le sommeil est ce qui suit l’orgasme, autrement dit c’est l’état de béatitude
inconsciente (état de nirvâna) qui marque le retour à la vie intra-utérine.
D’ailleurs, dans tout cela, qu’est-ce qui est mort, qu’est-ce qui est
vie ? La limite est forcément imprécise. Sandor Ferenczi fait remarquer ( Thalassa , p. 147) que « peut-être la mort
absolue n’existe-t-elle même pas ; peut-être dans l’inorganique même les
germes de la vie et les tendances régressives sont présents, dissimulés. Alors
nous devrions définitivement abandonner la question concernant le commencement
et la fin de la vie et nous devrions imaginer tout l’univers organique et
inorganique comme un va-et-vient incessant entre les tendances de vie et de
mort, où ni la vie ni la mort ne parviendrait jamais à régner seule ».
C’est en tout cas l’hypothèse qui surgit à la lecture
consciente des différentes versions du Mythe de la Princesse Engloutie. Le
va-et-vient incessant entre l’instinct de vie et l’instinct de mort dont parle
Ferenczi est celui que nous observons dans l’épisode des moutons de Peredur , épisode que nous retrouvons dans le récit
gaélique de la Navigation de Maelduin . Ce va-et-vient,
c’est encore ces échanges continuels entre les deux mondes qui caractérisent
autant les vieilles épopées manuscrites que les traditions orales plus récentes
recueillies en pays celtique. La nuit de Samain, les tertres sont ouverts, il
suffit d’y pénétrer, ou de se poster à l’entrée pour voir se glisser les filles
mystérieuses du sidh hors de leurs remparts de
terre ou d’eau. Mais la nuit de Samain est elle-même intemporelle : elle
dure chaque soir de la vie des astres. Nous sommes tous des Œdipe qui
rencontrons le Sphinx dans les ruines d’une cité morte. Le Sphinx est un être
féminin, obscur, caché : il est sorti de sa caverne à la faveur de cette
nuit de Samain ; il nous pose des questions et ces questions sont
stupides. Et nous sommes encore plus stupides que lui, car nous sommes
incapables d’y répondre : nous sommes aveugles, ou plutôt nous ne voulons pas voir les réponses qui
s’imposent. Et c’est ainsi que nous courons à notre perte : le sphinx nous
déchirera, et il aura raison. Car les questions qu’il nous pose, ce sont des
questions sur nous-mêmes. Faut-il espérer qu’un jour l’Être humain, qu’il soit
homme ou qu’il soit femme, daigne ouvrir les yeux et veuille bien reconnaître
ce qui est en lui, et ce qui agit en lui ?
Nous sommes partis du Mythe de la Ville d’Ys, mais ce
n’était pas sans raison. Au début était l’eau, à la fin il y aura l’eau. Nous
avons essayé de suivre Dahud-Ahès dans toutes ses métamorphoses et dans tous
ses repaires, car c’est la Femelle aux Visages innombrables. De la cité d’Ys à
l’Île d’Avalon en passant par la caverne du dragon, il n’y a que la distance
d’une image à une autre. Dans toutes ces transpositions d’un même mythe, où se
révèle toujours la même structure de pensée, apparaît la certitude que
« l’ordre du symbole ne peut plus être conçu comme constitué par l’homme,
mais comme le constituant » (Jacques Lacan). En étudiant comment l’homme a rêvé la femme, comment il l’a engloutie,
et pourquoi il l’a fait , on dévoile la réalité profonde de l’être
humain. Mais comme le fait remarquer Claude Lévi-Strauss, le symbole qui se
développe dans
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