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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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pu nous voir, dit Ogier, maussade. Elle est aveugle.
    Il marchait lentement, haussant les reins, le jarret ferme et l’éperon sonnant. La douleur embrasait son épaule et son bras ; ses défenses de fer le contraignaient du colletin aux genouillères, de sorte qu’elles semblaient avoir été forgées pour un homme moins épais que lui. La sagesse eût consisté à les quitter, mais il savait qu’à son retour de la cité, leur fardeau lui aurait paru contraignant, et même insupportable.
    – Pourvu que ce vieillard soit en sa demeure !
    – J’en doute, messire. Il y avait d’autres mires en bas.
    – Je sais, mais ce Sirvin m’inspire confiance.
    Le destrier blessé suivait, paisible, mené par le bateleur. Ils entendaient les cris, les rumeurs de la lice. Ogier se moquait de qui affrontait qui.
    – C’est là, dit-il à son compagnon.
    Une maison comme les autres ; toutefois, des pots, des pichets et récipients divers s’alignaient derrière la vitre de l’unique fenêtre ; peints dessus, des serpents, des scorpions, des dragons dont le souffle engendrait des plantes aux fruits et feuilles étranges. Sur une porte moulurée d’octogones, un heurtoir scintillait : son battant figurait un poing, son socle une tête de mort.
    Sitôt le premier heurt, une vieille vêtue de noir ouvrit et disparut, absorbée par une ogive latérale. Au fond du vestibule envahi d’ombre grise, Ogier vit l’homme grand, décharné mais robuste avec lequel, près du défunt Passac, il avait échangé quelques mots.
    – Je vous reconnais à votre armure, dit le vieillard sans manifester la moindre surprise. En quoi puis-je vous aider ?
    – J’ai besoin de vos soins, messire, et j’ai dehors, gardé par un compagnon, un cheval éperonné au ventre.
    – Je vois lequel.
    Ogier s’aperçut que le mire claudiquait et s’appuyait sur l’appendice d’une unicorne. Il le vit mieux, tandis qu’il s’approchait, comme éclairé d’en bas par les reflets soyeux de son pelisson rouge. La vieillesse l’avait tonsuré à peine plus qu’un clerc. Telle une épaisse quenouillée de laine, sa barbe, taillée en pointe, lui descendait au nombril. Des rides, en tous sens, rayaient son front haut et pâle : ses yeux gris-bleu scintillaient comme un acier humide ; son nez plat, plus rose que le reste du visage, avait dû s’abriter longtemps derrière le nasal d’une cevelière.
    Il sourit, et sa bouche se mit à vivre dans son nid de poils en friche, un peu jaunes et sinueux :
    – Vous vous nommez ?
    – Ogier… de Fenouillet.
    Ogier se reprocha d’avoir balbutié. Il avait failli dire : Argouges.
    – Qui que vous soyez, je vous ai admiré… Quant à ce coursier que vous m’amenez, je peux vous affirmer qu’il se remettra : j’ai vu la plaie… Nous sommes six, chaque année, à exercer notre office autour de cette lice. En raison de mon âge, je ne suis pas astreint à y demeurer tout un jour, et j’ai fini mon temps pour ce dimanche. Demain, dans l’après-midi, je descendrai à nouveau.
    Les yeux d’Ogier tombèrent sur le bourdon d’os spiralé. Il était aussi haut que lui. À force d’aider le mire à se mouvoir en ses murs, la pointe en était émoussée.
    – Par Dieu, messire, en quelle ronceraie a-t-on occis cette unicorne ?
    Il s’aperçut que son bras remuait à peine : du coude au cou, ce n’était que douleur et brasier.
    Sans lui répondre, le mire ouvrit une porte et la verrouilla sitôt franchie. Surpris par tant de précaution, le garçon constata qu’il venait d’entrer dans un cabinet lambrissé de boiseries de chêne à petits panneaux dont un Christ de bois peint, grandeur humaine, occupait le mur du fond. Sur sa face alourdie d’une barbe noire, les yeux – des saphirs – vivaient aux lueurs d’un luminaire à huit branches posé sur une crédence au creux de laquelle s’entassaient des bocaux pansus.
    – Eh bien, Fenouillet, racontez…
    La voix était ferme et courtoise. Ogier toucha son bras qu’il maintenait plié devant lui, seule façon d’alléger son poids de mal.
    – Je ne sais si je dois cela à Lerga ou à Guesclin…
    – Qu’importe !… Votre plastron est à peine enfoncé : le fer est bon ; du poitevin, sans doute… Allons, l’ami, ôtons votre écorce…
    Le mire posa sa corne sur une table basse. De ses mains précises et légères, il aida son patient à quitter ses défenses de bras, sa cuirasse, sa dossière puis ses linges de

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