La fête écarlate
Fenouillet, dit l’évêque.
– Oui, monseigneur : Labor omnia vincit improbus…
– Oh ! il sait le latin, s’écria le prélat.
Pierre de la Garnière se détourna, dévisagea ce chevalier si peu conforme au portrait qu’il s’en était fait :
– Bien, dit-il, bien.
Ogier se rassit, avala quelques bouchées de blanc de cygne et trouva que le grand oiseau s’était vengé de sa mort en offrant aux convives une chair dure et fade. L’envie le prit de se frotter l’épaule, d’appeler Thierry, de prétendre que sa souffrance empirait et de prendre congé. Mais dame Alix annonça un chaudumé d’anguilles, « merveille de chez nous » ; il dut rester.
Puis, on servit des carbonnées, ces tranches de bœuf cuites sur le gril, et des herbes (112) accommodées aux cervelles de volailles apprêtées à la moutarde d’Angers. C’était si fameux que l’évêque en rota.
Ensuite eut lieu l’issue de table composée de gaufres, tourtes et dorures (113) . Ces friandises firent pousser à certaines dames, en particulier Radegonde Bochet, des soupirs comparables à des râles d’amour.
Les vins – le saint-pourçain d’Auvergne et le chablis – et la cervoise déliaient les langues, et Guichard d’Oyré, oubliant sa honte, riait en essayant d’attraper la petite main de sa voisine, qui l’eût bien volontiers offerte au jeune Ferrant de Hautepenne – avant le corps – ; Hautepenne vers lequel coulait également le regard convoiteux de Charles d’Espagne. Et Blainville guignait de plus en plus Blandine, immobile, son beau front d’or courbé sur son écuelle vide.
« Le fredain (114) !… Il les lui faudrait toutes ! »
Alix d’Harcourt s’esquiva sous prétexte de voir ce qu’on faisait aux cuisines ; aussitôt quelques femmes la suivirent et partirent, en procession, sans doute aux latrines. Isabelle, froide et impassible comme l’après-midi sur son trône rustique, considéra un à un ses sujets – ou ce qu’il en restait –, et nul n’aurait pu se douter, se dit Ogier, que si la jambe de Radegonde épousait à présent les contours de la sienne, le pied de la reine appuyait sur le sien avec une méchante insistance.
D’un revers de main, il écrasa la sueur de son front, de ses joues ; il avait de plus en plus chaud. Les murs, d’ailleurs, commençaient à ruisseler.
Alix d’Harcourt revint, précédant les dames, et appela les ménestrieux.
– Dansons, dit-elle.
Avec l’aide des serviteurs, on déplaça les plateaux et les tréteaux sous l’œil réprobateur du prélat qui voyait s’éloigner une terrine de gelée de prune.
– Ah ! les bals, confia-t-il à Ogier. Ils sont pareils aux champignons : les plus beaux peuvent être pervers… Je m’en vais.
Aussitôt Blainville fit un pas :
– Monseigneur, permettez que je veille sur vous !
L’évêque agita son index à la façon d’un père sermonnant son enfant :
– Non, mon fils. J’ai dehors quelques fidèles… et mon château n’est qu’à cent pas. Pierre de la Garnière suffit à mon côté. Le voici, poussé par la même gêne que moi…
Ils partirent. Des sergents vinrent passer quelques flambeaux de poing aux anneaux des murailles ; il fit plus clair. Ogier, dont le mal de hanche se réveillait, considéra les femmes. Blondes, brunes, bouclées, tressées en corde de puits, crêpées ou simplement coiffées en crins galonnés (115) , la plupart étalaient orgueilleusement leur richesse, balayant le carrelage de leur traîne sans crainte d’en abîmer la soie, le cendal, le brocart, aux éperons de certains hommes. Les lueurs des feux jointes à celles de l’âtre faisaient éclore des fleurs pourprées sur leur col rehaussé de parfïlures d’or, d’argent ou de cartisanes (116) dont le nombre et l’épaisseur révélaient à la fois la fortune et l’orgueil de la propriétaire.
– Allons, dansons, dit dame Alix.
Les ménestrieux jouèrent une carole (117) lente, compassée. Certains convives s’assemblèrent. Blandine dut donner ses mains à Rochechouart et Hautepenne ; Ogier se trouva prisonnier de Radegonde et d’Isabelle.
« Bon sang ! J’aurais dû partir maintenant… Thierry a raison de me faire la tête, bien qu’il engloutisse allègrement nos reliefs avec les écuyers ! »
Il pressentit que les deux autres, en face, feraient en sorte qu’il ne pût approcher Blandine, tandis que Radegonde, radieuse, paraissait s’égayer de sa
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