La fête écarlate
m’emparais de Blainville et lui demandais rançon.
– Vous déraisonnez.
– Tu dis vrai… Oyez, compagnons, ajouta Ogier redevenu sérieux en s’adressant aux bateleurs et à Raymond. Avec Henri, que le comte a lié à mon sort, je vous ai fait couper à la haie, ce matin, de bons planchons (157) de frêne bien épais et bien droits qui valent des tronçons de lance… Vous prendrez votre place dans le passage entre les palissades, non loin du recet, car c’est par là que j’ai l’intention de combattre… et toi, Thierry, tu t’efforceras d’en faire autant… Si ça va vraiment mal pour nous, intervenez.
– Ça va de soi, dit Marcaillou.
Ogier caressa Saladin toujours morne – « Qu’as-tu, toi, ce jourd’hui ? » – avant d’examiner soigneusement Marchegai. Il vérifia l’attache des étriers, la tension de la sous-ventrière, donna des coups de poing sur l’encolure, les flancs, la croupe de l’animal sans que celui-ci en souffrît.
– N’aie crainte, Thierry : les houssements de nos chevaux résisteront aux heurts de toute espèce, car n’oublie pas : des malveillants frapperont les montures même si ces actions sont justiciables d’un châtiment… À toi de les prévoir et de les éviter.
– Vos éperons, dit Henri. Où sont-ils ?
– Je m’en passerai afin de ne rien accrocher. Je conduirai Marchegai des jambes et des talons.
Et s’adressant à Thierry :
– Méfie-toi des gars aux hauberts rouges que je t’ai montrés cette nuit. Ton armure est belle : ils peuvent te prendre pour un baron florissant et plein d’écus. S’ils t’entourent, bats-toi comme s’ils voulaient t’occire car tu serais incapable d’acquitter ta rançon… Mais pense aussi à t’enrichir !
– Ce qui veut dire ?
– La chose inverse : il vaut mieux que tu combattes moins pour fondre sur les gars esseulés un moment et les capturer… Si tu saisis un cheval au frein sans que son cavalier puisse s’y opposer, la bête et l’homme t’appartiendront… Vous, compagnons, demeurez le long de la barrière pour attraper nos prises, au cas où nous en ferions. Conservez-les au besoin par la force : vos bois sont faits aussi pour ça… Si un chevalier tombe avant que tu n’aies réussi à le leur mener, Thierry, et que tu le vois gésir et même piétiné par les sabots, laisse-le… Garde le frein du cheval dans ta poigne et dis-toi que c’est tant pis pour toi et pour cet homme… Dis-toi aussi que tu es pauvre et que ma sœur est sans dot…
– Cessez d’abreuver ce gars-là de paroles ! s’emporta tout à coup Hérodiade en reprenant sa guenon sur la selle de Marchegai. Champartel saura se tirer d’affaire… Mais il me faut bien vous dire que je ne voudrais pas vous voir revenir l’un et l’autre avec un bras rompu… ou une jambe… ou les dents du devant brisées et les mâchoires…
Thierry grimaça et, portant ses mains à sa bouche :
– Pouah ! Cessez de parler ainsi !
Hérodiade saisit le miroir d’acier poli que Marcaillou avait accroché, pour se raser, au seuil de la tente, et l’essuya contre sa cuisse.
– Tenez, contemplez-vous, messire !
Ogier eut la surprise d’y voir une face grise, un regard trop clair, la griffe que mettaient, aux coins de ses lèvres, l’excitation et la crainte.
– Je n’aurais pas pire visage en enterrant quelqu’un de cher !
Il ne put rien ajouter car tous les hérauts d’armes, en s’éparpillant au galop entre les tentes, hurlaient :
– Lacez heaumes !… Lacez heaumes !… Lacez heaumes !
Ogier emplit ses poumons d’air – avidement.
– Fais-en autant, Thierry, jusqu’à ce que tu doives clore ton bassinet. Bientôt, le souffle te manquera… Et maintenant, les gars, aidez-nous.
Avant qu’Henri lui couvrît la tête de son capelier de bourras, épais de deux doigts, puis de son camail, Ogier jeta un regard à l’emprise de Blandine, toujours solidement cousue à sa cubitière senestre, puis au voile qu’il portait noué à son bras dextre.
– Du bleu, dit-il à Hérodiade… L’azur est la couleur d’Alençon… Les tenants de Chauvigny porteront du rouge… C’est un usage qui m’était inconnu, mais il me paraît utile, tant nous serons nombreux en lice… Ainsi, nul besoin de connaître toutes les armes brodées sur les houssements des chevaux, et les figures sommant les heaumes…
Son bassinet lacé (158) , ventaille grande ouverte, il adressa une recommandation
Weitere Kostenlose Bücher