La Fin de Fausta
pour dire qu’il ne faisait que passer et que, le soir même, il réintégrerait cette retraite qu’elle seule connaissait, en dehors des compagnons qui la partageaient avec lui.
Puis, en quelques phrases brèves mais claires, précises, il lui donna ses instructions. Elle l’écouta avec cette attention recueillie de la femme qui aime et qui, sachant que le salut de l’homme aimé peut dépendre de la façon dont elle exécutera ses ordres, note soigneusement dans sa mémoire jusqu’aux moindres détails.
Sûr qu’elle avait compris et qu’elle le seconderait avec cet inlassable et intelligent dévouement dont elle lui avait donné mainte preuve, Pardaillan qui, il faut croire, avait du temps devant lui, déclara qu’étant fatigué il allait faire un somme d’une couple d’heures, ce qui le conduirait aux environs de deux heures de l’après-midi. Et, en effet, il s’accommoda de son mieux dans le large fauteuil, avec des piles de coussins.
Merveilleusement dressée, dame Nicole mit la table à portée de sa main, plaça sur cette table une assiette de pâtisseries sèches, un verre de fin cristal et, près du verre, un flacon intact de vouvray. Puis, voyant qu’il avait déjà fermé les yeux, elle se retira doucement, sur la pointe des pieds.
Dès qu’elle fut partie, Pardaillan ouvrit les yeux. Il allongea la main, prit le flacon et remplit le verre de la liqueur blonde et pétillante. En suite de quoi, il leva le verre plein à la hauteur de ses yeux. Il semblait admirer les bulles qui, du fond du verre, montaient à la surface, pareilles à des perles minuscules. En réalité, il ne voyait pas son verre : il réfléchissait, l’œil perdu dans le vague.
Sans y avoir trempé les lèvres, machinalement, comme il l’avait pris, il reposa le verre sur la table. Et il grommela avec humeur :
« En somme, ce que je vais dire au petit roi se résume à ceci : « Sire, M. de Valvert vous apporte quatre millions, que nous avons pris à votre ennemi, l’Espagnol. Donnant donnant, vous pouvez bien, là-dessus, lui faire sa petite part et lui donner deux cent mille livres, qui lui permettront d’épouser celle qu’il aime et qui, comme lui, ne possède pas un sou vaillant. » J’aurai beau entortiller la chose dans de belles phrases – si tant est que je sache faire de belles phrases, ce dont je ne suis pas bien sûr –, au fond, c’est cela que je dirai… pas autre chose. A cela, que répondra le roi ?… Pardieu, il s’empressera d’accepter, comme dit l’autre, le jeu en vaut la chandelle… Oui, mais, moi, de quoi aurai-je l’air ?… Heu !… hou !… ha !… »
Machinalement, nerveusement, du bout des doigts, il tambourinait le bord de la table. Et avec un accent cinglant, comme s’il voulait se fouailler lui-même :
« De quoi j’aurai l’air ?… Par Pilate, cela crève les yeux !… J’aurai l’air d’un de ces usuriers juifs, qui ne prêtent pas à moins du denier cent [5] !… Malepeste, pour une fameuse idée, je puis dire que c’est une fameuse idée que j’ai eue là !… »
Il allongea de nouveau la main, sans savoir ce qu’il faisait, assurément, prit le verre et le vida lentement. Il le reposa sur la table, si brutalement que le verre, avec un claquement sec, se brisa au ras du pied. Il ne s’en aperçut pas. Et faisant claquer ses doigts avec impatience :
« Pourtant, morbleu, il est de toute justice qu’Odet reçoive la récompense qui lui est due !… Et comme je sais, à n’en pas douter, qu’il ne songera pas à demander quoi que ce soit, lui !… comme, d’autre part, c’est moi qui l’ai entraîné dans cette formidable aventure où il a failli vingt fois déjà laisser sa peau… où ce sera miracle s’il s’en tire entier… il est également de toute justice que j’y songe pour lui !… Oui, mais, mille diables, que faire ?… Par Pilate, il doit tout de même y avoir un moyen un peu plus… décent que celui que j’avais imaginé !… Il s’agit donc de trouver ce moyen… Cherchons, mordieu, cherchons ! Et, puisque j’ai toujours vu que les bonnes idées me viennent en dormant… dormons ! »
Là-dessus, Pardaillan ferma les yeux et demeura longtemps sans les rouvrir, sans bouger. Dormait-il ? Nous n’oserions pas l’affirmer. Dans tous les cas, il avait bien l’air de dormir. Cela dura près de deux heures. Au bout de ce temps, il se leva brusquement, et tout joyeux, il s’écria :
« Pardieu,
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