La Fin de Fausta
les tonnelets, s’il ne perdit pas un mot de ce que disaient les deux nobles porte-faix improvisés, il ne vit plus ce qu’on faisait dans la première cave, et encore moins ce que faisait d’Albaran à l’étage au-dessus. Il ne put pas entendre ce qu’on disait là-haut.
Il n’y attacha pas autrement d’importance. Et cependant…
Les deux gentilshommes riaient et plaisantaient en roulant leurs fûts. Ils bavardaient aussi… Et ce fut ainsi que Pardaillan apprit ce que faisait le colosse dans la cave supérieure. Ce fut ainsi qu’il apprit que cette idée qui lui était venue et qu’il avait repoussée parce qu’elle lui paraissait trop hideuse, était la vraie.
Il se dressa dans l’ombre, tout secoué par une de ces colères froides, terribles, qui, lorsqu’elles viennent à éclater, se traduisent par des gestes qui tuent.
« Une mine ! rugit-il dans son esprit. Ils sont en train de miner la maison !… pour me faire sauter demain matin !… Et c’est cela que Fausta a imaginé !… C’est cela que ces scélérats exécutent en riant… en imaginant d’avance « la tête que je ferai » demain matin, lorsque mon corps sera projeté dans l’espace et retombera déchiqueté, sanglant, calciné !… Oh ! les misérables sacripants ! »
Et hérissé, exorbité, flamboyant, prêt à bondir :
« Et si je les saisissais, ces lâches assassins, si je leur broyais la tête contre ces murs… Si je sautais sur l’infernale Fausta et si je lui tordais le cou, ou si je l’écrasais du pied comme un reptile venimeux qu’elle est… ne serais-je pas dans mon droit ?… »
Un instant, on eût pu croire qu’il allait mettre sa menace à exécution. Jamais les deux misérables qui portaient à eux deux, avec précaution, un tonneau dont ils venaient de briser maladroitement le fond, jamais d’Albaran, à l’étage au-dessus, et Fausta plus haut encore, ne furent si près de la mort qui agitait ses ailes funèbres au-dessus de leurs têtes.
Mais Pardaillan ne bondit pas. Il se calma, haussa les épaules et, grommelant des choses indistinctes, il se rencogna dans son trou, reprit sa surveillance interrompue dans cet instant de colère folle.
Or, pendant cet instant, si court qu’il eût été, un incident s’était produit.
Oh ! en vérité, un incident bien insignifiant, bien mince ! mais qui lui échappa complètement. Et qui lui eût échappé aussi bien, même s’il avait eu son sang-froid, parce qu’il était trop loin pour voir et pour entendre.
Voici.
D’Albaran remonta dans la cuisine où Fausta attendait, roide sur son escabeau, n’ayant pas fait un mouvement, plongée dans des pensées sombres, à en juger par le nuage qui obscurcissait son front.
– Madame, dit-il, la mine est prête, le caveau est plein… Cependant il reste encore quelques tonnelets en bas. Faut-il les faire reporter dans la grotte ?
– Non pas, fit vivement Fausta. Et elle expliqua :
– Tu oublies, d’Albaran, que Pardaillan connaît l’existence de cette grotte. Il a découvert et fait sauter mes autres dépôts… Il doit avoir reçu mon mot, maintenant. Qui sait si ce mot ne lui remettra pas la grotte en mémoire ? Qui sait s’il n’y viendra pas aujourd’hui même, dans un instant ? Il ne faut pas lui laisser de poudre là-dedans.
– Alors, que faut-il en faire ? On ne peut pas les laisser où ils sont, ces tonnelets.
– Je vais avec toi, dit Fausta qui se leva.
Ils descendirent. Il y avait en bas quatre tonnelets. Les deux Espagnols apportaient à ce moment même celui qu’ils avaient défoncé.
– Combien en reste-t-il dans la grotte ? demanda Fausta.
– Encore un, madame.
– Apportez-le, commanda Fausta. Les Espagnols retournèrent à la grotte.
Fausta alla au mur. Du côté même où se trouvait la porte invisible par où elle était entrée avec d’Albaran. Seulement, à l’autre extrémité du mur, presque à l’angle. Elle appuya sur un ressort. Une petite porte s’ouvrit, démasquant un petit caveau qui n’avait pas d’autre issue apparente que celle qu’elle venait d’ouvrir.
Le colosse rangea là-dedans les six tonnelets restants. Ce fut, pour lui, l’affaire d’une minute.
Fausta ferma la porte de ce caveau secret, dont Pardaillan ne paraissait pas soupçonner l’existence et commanda :
– Va fermer la porte de la grotte.
D’Albaran, à qui s’adressait l’ordre, obéit. Il revint aussitôt.
Sur ses pas, dans l’ombre,
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