La Fin de Fausta
lire dans l’esprit de Giselle cet embryon de pensée encore confuse, et à laquelle elle obéissait cependant sans s’en douter.
Forte de ce qu’elle traduisait comme une approbation tacite, Giselle reprenait de son petit air grave :
– Alors, monsieur le chevalier, voulez-vous m’expliquer pourquoi, vous qui êtes toujours si indulgent, vous vous êtes, tout à l’heure, montré si sévère pour Mgr le duc d’Angoulême ? Pourquoi vous avez paru lui reprocher comme un crime ce qui, de votre propre aveu, n’est qu’une erreur ?
La question fit sursauter Pardaillan, qui maugréa en lui-même : « Peste soit de la fillette ! Elle vous allonge de ces coups droits, capables de vous étendre roide ! »
Nous devons dire ici que, tout en ayant l’air de concentrer toute son attention sur sa jeune interlocutrice, Pardaillan tendait une oreille attentive aux bruits de la rue qui lui parvenaient assez distinctement. Et il fallait vraiment son extraordinaire puissance sur lui-même, pour montrer ce calme extravagant, tandis qu’en lui-même il se posait cette question capitale pour lui :
« Le duc va-t-il faire entrer Concini et sa bande de sbires ?… Ou bien va-t-il les éconduire pour se montrer digne de la haute opinion que sa fille a de lui ?… Car c’est un fait, cette pauvre Violetta sur laquelle, un instant, j’ai compté pour nous tirer d’affaire, Violetta, ainsi que je le pensais, n’a plus d’empire sur son époux. Tandis que sa fille… il est certain qu’il fera pour elle bien des choses, qu’il ne ferait pas pour la mère. »
Or, à ce moment, Pardaillan perçut un bruit de troupes se mettant en marche, sous la fenêtre. Et, quelques instants plus tard, il entendit le bruit, assourdi par la distance, d’un marteau heurtant une porte. Il ne lui en fallut pas plus pour comprendre. Et, allégé du poids qui l’oppressait, malgré son calme apparent, il se dit, non sans une satisfaction intérieure :
« C’est fait ! Le duc a voulu se montrer digne de sa fille : il a refusé l’entrée de sa maison à Concini. Il a même dû lui persuader que nous n’étions pas chez lui, puisque voilà le Florentin qui s’en va voir ailleurs. Maintenant, je gage que le duc ne saura pas résister au désir de s’entretenir, un instant, avec le señor d’Albaran. »
Il ne se trompait pas : le duc d’Angoulême, de son air le plus hautain, avait affirmé que les personnes recherchées n’étaient pas chez lui. Tout favori de la reine qu’il était, Concini ne pouvait pas se permettre de demander à un personnage de l’importance du duc d’Angoulême la permission de visiter sa maison, pour s’assurer s’il avait dit vrai. Ce n’était cependant pas l’envie qui lui manquait, ce qui fait qu’il se disposait à parlementer, pour tâcher d’obtenir par surprise ce qu’il ne pouvait demander ouvertement.
Mais alors, d’Albaran était intervenu. Il savait très bien, lui, quel intérêt considérable le duc avait à se débarrasser de Pardaillan. Puisqu’il affirmait que le chevalier ne s’était pas réfugié chez lui, il fut convaincu qu’il devait dire la vérité. Et, de bonne foi, il glissa quelques mots à l’oreille de Concini, pour l’avertir qu’ils perdaient inutilement un temps précieux. Concini n’avait pas plus de raison de suspecter le représentant de Fausta que celui-ci n’en avait de suspecter le duc. Il s’en rapporta donc à lui et donna un ordre au prévôt Séguier, qui, à la tête de ses archers, s’en alla frapper à la porte de la maison voisine. Concini étant bien résolu à fouiller toutes les maisons de la rue, les unes après les autres.
C’était ce mouvement de troupes que l’oreille exercée de Pardaillan avait perçu. Ajoutons qu’il ne s’était pas davantage trompé, en supposant que le duc profiterait de la circonstance pour avoir un entretien avec d’Albaran. En effet, tandis que Concini et ses fidèles suivaient le grand prévôt, d’Albaran, sur un signe du duc, était entré dans l’allée et commençait une conversation animée avec celui-ci.
Ceci se passait à peu près vers le même moment que Giselle posait cette question, que le chevalier venait de qualifier de coup droit. Et, comme il fixait l’enfant de son œil clair, cherchant quelle réponse il pourrait lui faire, voici que cette pensée lui vint tout à coup, à lui :
« Puisque cette adoration que le père avait jadis pour la mère s’est
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