La Fin de Fausta
d’Espagne. C’est donc l’appui du monarque qu’elle représente, qu’elle apporte, en même temps que le sien, à ton père. Et c’est quelque chose, vois-tu, qu’un appui qui se traduit par des millions, en nombre illimité, et par vingt ou trente mille hommes de troupes aguerris.
– Des troupes espagnoles ? demanda Giselle avec une moue et un froncement de sourcil, qui indiquaient que cette intervention de troupes étrangères n’était pas précisément de son goût.
– Nécessairement, dit Pardaillan, dont l’œil pétilla envoyant l’effet produit par ses révélations.
– Et mon père a accepté cela ?
– Avec enthousiasme, sourit Pardaillan.
Giselle baissa la tête comme honteuse. Il était clair que, malgré tout son respect, elle jugeait avec sévérité la conduite de son père. Pardaillan, qui lisait ses impressions sur son visage expressif, reprit d’un air détaché :
– Tu n’es pas sans avoir entendu parler des horreurs de la Ligue ?
– Hélas ! oui, monsieur. Et j’ai entendu dire aussi que toutes ces horreurs provenaient du fait que nous avions été assez… fous, pour introduire chez nous les Espagnols qui sont nos pires ennemis.
– C’est exact. Eh bien, ce qu’on n’a pas pu te dire parce que peu de personnes le savent, c’est que la Ligue fut l’œuvre de la princesse Fausta. Cette effroyable guerre civile qui, durant des années, mit le royaume à feu et à sang, cet épouvantable amoncellement de meurtres, de ruines, de dévastations, tout cela fut parce que Fausta avait mis dans sa tête que le duc de Guise prendrait la place d’Henri III sur le trône de France… qu’elle eût partagé avec lui, cela va sans dire. Or, ce que la princesse Fausta n’a pu faire pour Guise, la duchesse de Sorrientès rêve de le recommencer pour le duc d’Angoulême.
– Qui partagera son trône avec elle ! s’écria la duchesse emportée malgré elle.
– Je ne l’ai pas dit, répliqua froidement Pardaillan.
– Mais vous le pensez, fit la duchesse. Vous ne savez pas mentir, mon ami. Au reste, l’attitude de Charles à mon égard, depuis qu’il est sorti de la Bastille, est telle que j’avais déjà pressenti l’horrible abandon qui m’attend.
Pardaillan jeta un coup d’œil sur Giselle. Il la vit pâle, violemment émue, plus indignée de la révélation de sa mère que de tout ce qu’il lui avait dit, lui. Et elle protesta doucement :
– Oh ! mère, comment peux-tu dire une chose aussi affreuse ! C’est faire injure à Mgr d’Angoulême, sais-tu, que de le croire capable d’une action aussi vile ! Moi, je suis sûre que mon père t’adore, comme aux premiers temps de votre amour ! Je suis sûre que jamais, quoi qu’il lui arrive de bien ou de mal, il ne voudra abandonner l’épouse qu’il a librement choisie entre toutes.
Dans son désarroi, elle s’oubliait jusqu’à tutoyer sa mère. Malgré tout, cependant, elle s’efforçait de défendre son père. Mais l’accusation portée par sa mère adorée avait fortement ébranlé cette touchante confiance qu’elle avait en son père. Elle le défendait encore, mais on sentait qu’elle n’avait plus cette belle conviction qu’elle montrait quelques instants plus tôt.
Cependant, la mère répondait, avec un pauvre sourire douloureux :
– Ton père m’aime toujours… je veux le croire… j’ai trop besoin de le croire. Mais tu ne sais pas, tu ne peux pas savoir, toi, mon enfant, les ravages effrayants que peut faire dans le cœur et dans la conscience d’un homme cette terrible maladie que l’on appelle l’ambition. Ton père veut être roi. Il m’aime. Mais, si pour atteindre cette couronne royale qui l’éblouit, il lui faut piétiner son propre cœur après le mien, il n’hésitera pas.
Et, comme Giselle esquissait un geste de protestation, elle reprit avec force :
– Je te dis, moi, qu’il brisera son propre cœur, comme il aura brisé le mien ! Je te dis que cet abandon qui t’indigne est déjà décidé dans son esprit ! Je l’ai bien compris depuis sa sortie de la Bastille. J’ai bien senti, moi, qu’il n’est plus le même avec moi. Je me torturais le cerveau pour chercher en quoi je pouvais avoir démérité. Maintenant que je sais qu’il a fait alliance avec M me Fausta – ce qu’il m’avait soigneusement caché jusque-là –, je suis fixée ! Le pacte conclu avec M me Fausta stipule qu’elle partagera le trône avec le duc. Et
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