La Fin de Fausta
reportée sur l’enfant… Puisque cette enfant semble avoir un réel ascendant sur son père… pourquoi la fille ne ferait-elle pas ce que la mère n’a pu faire ?… Quel coup pour M me Fausta, si le duc abandonnait la partie !… Un coup dont elle ne se relèverait peut-être pas !… Un coup après lequel elle n’aurait peut-être plus qu’à s’en retourner en Espagne !… Pourquoi pas ? Il ne tient qu’à moi… Cette enfant a une nature essentiellement droite et généreuse… Sans en avoir l’air, surtout sans toucher à ce sentiment de vénération qu’elle a pour son père et qu’il serait abominable de souiller, je puis l’éclairer, la guider… Essayons, corbleu, le jeu en vaut la peine ! »
Ayant pris cette résolution, il répondit enfin, avec un sérieux qui n’était plus affecté :
– Ecoute-moi, mon enfant, et comprends-moi : si je me suis montré sévère envers ton père, si je lui reproche comme un crime ce qui n’est qu’une erreur, c’est qu’il y a erreur et erreur. Il y a des erreurs, vois-tu, qui sont plus criminelles que le plus abominable des crimes. Celle de ton père, qui doit, tu entends ? qui doit fatalement avoir des conséquences effroyables, est du nombre de ces erreurs qui sont pis que des crimes. Tu comprends pourquoi je me suis montré si sévère ?
– Oh ! s’excusa Giselle, je pensais bien qu’un homme aussi bon que vous, monsieur, ne pouvait pas se montrer aussi sévère, sans avoir d’excellentes raisons. Croyez bien qu’il n’est jamais entré dans ma pensée de vous demander de justifier votre attitude. Je vous respecte trop pour m’oublier à ce point. Ce que je vous demande, monsieur, c’est de m’expliquer sur quoi vous vous basez pour juger que l’erreur de mon père est pire qu’un crime.
– D’abord, cette erreur lui a valu de passer dix ans à la Bastille : les dix plus belles années d’une existence humaine. Ceci…
– Ceci ne regarde que lui ! interrompit Giselle avec une hauteur que Pardaillan et la duchesse admirèrent comme elle méritait de l’être.
– Soit, fit Pardaillan sans insister, mais ces dix années, ta mère les a passées dans les larmes et dans des appréhensions telles qu’elles ont été pour elle un long martyre. Toi-même, pauvre enfant, c’est à peine si tu as entrevu ton père par-ci par-là.
– Il est le maître, prononça Giselle avec une force qui attestait que pour elle, en tout ce qui les concernait, elle et sa mère, les volontés de son père étaient sacrées.
– Tu te trompes, redressa doucement Pardaillan : ton père n’a pas le droit de vous sacrifier à son ambition.
– Il est le maître, répéta Giselle avec une douce obstination.
– Même de sacrifier votre vie, à ta mère et à toi ? insista Pardaillan.
– Il est le maître pour cela comme pour tout le reste.
– Soit, je veux bien te concéder cela. Mais tu m’accorderas bien, toi, qu’il n’a pas le droit de disposer des biens et de la vie des autres ?
– Cela ne fait aucun doute, monsieur.
– Très bien. L’erreur de ton père devient criminelle en cela, que, pour s’approprier cette couronne qu’il convoite, il va, sans hésiter, sans regret, sacrifier des milliers d’existences sur lesquelles il n’a aucun droit.
– Comment cela ? interrogea avidement Giselle en ouvrant de grands yeux étonnés.
– Je vais te le dire : tu penses bien, n’est-ce pas, que le petit roi Louis treizième ne va pas se laisser dépouiller, sans se défendre un peu. Et, j’espère que tu reconnaîtras qu’il aura raison ?
– C’est évident.
– Ton père a compris que, livré à lui-même, avec l’appui des quelques rares partisans qu’il a réussi à se faire, il n’était pas de force à renverser le roi et à se mettre à sa place. Il a senti qu’il était battu d’avance. Il n’a pas hésité : il a accepté les offres que lui faisait la princesse Fausta.
– Celle qui fut son ennemie, que vous avez combattue et vaincue autrefois ?
– Celle-là même. Et je vois, à ton air embarrassé, que cette alliance te paraît étrange et, disons le mot, indigne du duc d’Angoulême. Quoi qu’il en soit, ton père, dans cette alliance, n’a voulu voir que les avantages qu’elle lui apportait.
– Ces avantages sont donc bien considérables ?
– Ils ont leur valeur. Fausta, ou, pour lui donner son nouveau nom, la duchesse de Sorrientès, représente ici le roi
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