La Fin de Fausta
royale ? Je n’en disconviens pas. Mais à un de ces êtres fabuleux, uniques au monde, ne convient-il pas d’accorder des honneurs également uniques ? Le chevalier de Pardaillan est un de ces héros épiques, sans peur et sans reproche, tels qu’on n’en avait plus vus depuis la mort du chevalier Bayard, d’inoubliable mémoire. S’il l’avait voulu, il serait depuis trente ans duc et pair, maréchal de France, premier ministre, comblé de biens, de gloire et d’honneurs. Mais simple et désintéressé comme ces preux de l’antique chevalerie dont il est, hélas ! le dernier représentant vivant, il a tout refusé, s’est mis volontairement à l’écart, a voulu vivre pauvre et ignoré, avec son modeste titre de chevalier.
Après ce panégyrique si précieux et si extraordinaire dans la bouche d’un souverain, il s’arrêta pour juger de l’effet produit par son geste et par ses paroles. Et il sourit, satisfait. Il allait reprendre. Pardaillan profita de cet arrêt pour implorer :
– Sire, Sire, de grâce, c’est trop d’honneur !
Le petit roi leva la main qu’il avait libre. De l’autre, il tenait toujours la main de Pardaillan. Et tout haut, de manière à être entendu de tous, mais d’une voix très douce, affectueusement caressante, il imposa :
– Silence, chevalier. Fût-ce malgré vous, il faut, au moins une fois dans votre vie, que justice éclatante vous soit enfin rendue.
Et d’une voix qui se fit plus douce encore, le regard perdu dans le vague, comme s’il poursuivait un rêve intérieur, il continua :
– Et puis, il ne s’agit pas seulement de rendre un hommage mérité à votre inappréciable mérite. Il s’agit encore, et ceci, vous ne pouvez l’empêcher, chevalier, il s’agit de rendre l’hommage qui convient au mort illustre dont vous êtes ici l’envoyé extraordinaire.
Il prit un nouveau temps, attendant que la sensation énorme que venaient de produire ces énigmatiques paroles fût calmée. Cependant, il faut croire que ces paroles, incompréhensibles pour tous ceux qui venaient de les entendre, avaient un sens très clair pour Pardaillan, car il répondit de son air railleur, assez haut pour être entendu de tous, par ces paroles aussi énigmatiques, qui ne firent que surexciter une curiosité déjà ardente et redoubler une attention qui, pourtant, paraissait avoir atteint son point culminant :
– Dès l’instant qu’il s’agit de rendre hommage au mort illustre que je représente ici, je ne dis plus rien, sire. Ou plutôt, si, je dis : allez-y, Sire. Et si extravagants que puissent paraître ces honneurs, ils seront encore au-dessous de ce qui convient à ce très illustre mort.
Et chose qui parut fantastique à tous, loin de protester ou de se fâcher, le roi approuva gravement de la tête. En sorte que chacun, même Fausta, cherchait dans sa tête qui pouvait bien être ce mort si illustre qu’il se trouvait encore au-dessus des honneurs, « si extravagants qu’ils parussent », selon le mot de Pardaillan, à lui rendus par une majesté royale.
Le roi reprit, au milieu d’une attention qui devenait haletante, à force d’être tendue :
– M. le marquis d’Ancre nous a présenté, et nous avons reçu avec tout l’éclat et tous les honneurs dus à son haut rang, l’illustre princesse qui vient représenter à cette cour un des plus puissants monarques du monde chrétien.
Ici, le roi adressa un gracieux sourire à Fausta et lui fit un léger salut de la tête. Et Fausta répondit par un sourire accompagné d’une profonde révérence. Après quoi il continua :
– C’était bien. Le chevalier de Pardaillan, lui aussi, est un envoyé extraordinaire. Et cependant, simple et modeste comme à son ordinaire, il est venu seul, sans apparat, sans escorte royale, sans cortège pompeux. Seul, il s’est présenté à nous, sans héraut, sans introducteur. Ceci n’est digne ni de lui, ni de nous, ni du mort illustre qu’il représente. Je veux, pour notre honneur à tous trois, relever comme il convient cette trop grande simplicité.
Le roi se redressa de toute la hauteur de sa petite taille. Et une flamme d’orgueil dans les yeux, d’une voix éclatante :
– Et quand je vous aurai dit que ce mort, illustre entre les plus illustres, c’est mon père, le roi Henri de glorieuse mémoire, qui donc osera prétendre que c’est trop d’un roi pour présenter à cette noble assemblée le représentant que, d’au-delà
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