La Fin de Fausta
d’une joie mauvaise, il s’efforça d’écraser Pardaillan qui demeurait impassible et dédaigneux, comme s’il n’était pas en cause. Le triomphe de Concini devait être bref. Il ne devait pas tarder à tomber de son haut. Et fort rudement encore.
Le roi avait tressailli comme quelqu’un qu’on arrache brusquement à un rêve plaisant. Et il laissa tomber sur Concini un regard glacial qui eût fait rentrer sous terre tout autre que lui. Mais si Concini ne s’effondra pas, il frémit intérieurement : il venait de comprendre, trop tard, qu’il était allé trop vite et trop loin, qu’il venait de commettre une faute irréparable. Maintenant, il fallait subir les conséquences fatales de cette erreur. Et, à en juger par l’attitude du roi, ce serait rude.
Et il se raidit pour tâcher de s’en tirer, tout au moins, avec le moins de mal possible.
Le petit monarque ne devait pas le manquer, en effet. L’occasion était trop belle de mortifier à son tour le favori détesté qui l’écrasait de son faste insolent, de rabaisser, devant toute sa cour, la morgue blessante de cet aventurier de bas étage, venu d’Italie sans une maille en poche, et qui se donnait des airs d’humilier celui qu’il dépouillait sans vergogne tous les jours. Il n’eut garde de la laisser échapper.
– Qui parle d’arrestation ? fit-il du bout des lèvres dédaigneuses.
– Votre Majesté n’a-t-elle pas appelé son capitaine des gardes ? zézaya Concini de sa voix la plus caressante, en se cassant en deux.
Il paraissait ne pas vouloir comprendre que la foudre grondait sur sa tête. Le roi se fit un malin plaisir de lui arracher le bandeau qu’il voulait se mettre sur les yeux. Son attitude se fit plus hautaine, plus dédaigneuse, sa voix plus cassante pour dire :
– Vous n’êtes pas mon capitaine des gardes, que je sache.
– Je suis le premier gentilhomme de votre chambre, bégaya Concini, qui commençait à perdre pied.
– Eh ! mordieu ! s’emporta le roi, quand j’appelle mon capitaine des gardes, je n’appelle pas le premier gentilhomme de ma chambre ! Et si j’appelle Vitry, il ne s’ensuit pas forcément qu’il s’agit d’une arrestation.
– Je croyais…
– Vous avez mal cru, interrompit le roi qui reprit son ton sec, glacial. Et puis, il me semble vous avoir entendu prononcer le mot d’aventurier.
Ici, le roi eut un sourire mauvais, et avec un accent d’ironie féroce, il cingla :
– On ne peut pas dire que vous êtes un aventurier, vous, monsieur. Vous êtes un grand seigneur. Un authentique marquis… Il est vrai que, votre marquisat, vous l’avez acheté à beaux deniers comptants voici tantôt trois ans. Mais qu’importe, vous voilà bel et bien marquis de vieille souche. Et puis, depuis quelques mois, n’a-t-on pas fait de vous un maréchal de France ? Ce titre glorieux ne couvre-t-il pas tout ? Et qui donc oserait prétendre qu’un maréchal de France n’est qu’un aventurier de bas étage, parvenu aux plus hautes dignités par de basses, de louches manœuvres ? Personne, assurément. Non, non, vous n’êtes pas un aventurier, vous, monsieur le maréchal marquis d’Ancre. Mais vraiment vous avez des mots malheureux, qui détonnent étrangement dans votre bouche.
Chacun de ces mots, prononcés avec une ironie âpre, mordante, tombait, au milieu d’un silence de mort, comme autant de soufflets ignominieux sur la face blême du malheureux Concini. Ses amis se considéraient avec une stupeur navrée. La reine s’agitait, paraissait vouloir venir se jeter au milieu du débat, apporter à son favori le secours de son autorité de régente. Léonora, plus livide sous les fards que Concini lui-même, poignardait de son regard de feu le petit roi et Pardaillan, cause première de cet esclandre inouï. Et elle excitait sa maîtresse en lui glissant à l’oreille, en italien, de cette voix ardente, et sur ce ton d’autorité auquel Marie de Médicis, jusqu’à ce jour, n’avait jamais su résister :
– Madame, madame, c’est pour vous, pour votre service, qu’on l’insulte ainsi à la face de toute la cour !… N’interviendrez-vous pas, ne le défendrez-vous pas ?… Allez, Maria, allez donc.
Per la madonna,
montrez que vous êtes la régente et que tous, même le roi, doivent s’incliner devant votre autorité !
Mais l’influence de Fausta primait déjà celle de Léonora sur l’esprit faible et irrésolu de « Maria ». Certes, elle ne
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