La Fin de Fausta
avait été effroyablement rude pour elle. C’était l’écroulement complet, irrémédiable, d’un plan longuement et savamment mûri. Malgré sa force de caractère prodigieuse, elle avait été un instant atterrée.
Tout autre qu’elle eût renoncé à une lutte devenue impossible. Elle, elle s’était ressaisie. Et, comme l’avait prévu Pardaillan, elle n’avait pas renoncé. Plus que jamais elle poursuivait la lutte. Que voulait-elle maintenant ? Qui aurait pu le dire ? Peut-être s’était-elle résignée à travailler loyalement pour Philippe d’Espagne. Peut-être travaillait-elle sournoisement pour elle-même. Peut-être avait-elle songé à remplacer Charles d’Angoulême par un autre : un Condé, un Guise, un Vendôme, peut-être Concini lui-même, avec qui elle restait au mieux, malgré le méchant tour que lui avait joué Léonora. Car on pense bien qu’elle n’avait pas été dupe et qu’elle avait très bien compris que, si la fille de Concini et de Marie de Médicis avait refusé de la suivre, c’était parce qu’elle avait été circonvenue.
Peut-être – et c’est ce qui nous paraît le plus probable – par une sorte de dilettantisme morbide ne s’obstinait-elle ainsi qu’à cause de Pardaillan. Peut-être mettait-elle son point d’honneur à battre une fois dans sa vie cet invincible adversaire qui l’avait toujours battue, elle, et sur tous les terrains.
Peut-être ce qui n’avait été jusque-là qu’un accessoire était-il, par un travail obscur, lent, opiniâtre, devenu le principal : peut-être la mort de Pardaillan, qui n’était qu’une nécessité que lui imposait la réussite de ses vastes ambitions, était-elle devenue l’unique but vers quoi tendaient toutes les ressources de son esprit infernal, puissamment doué, et qu’elle voulait atteindre coûte que coûte, et dût-elle lui sacrifier ces mêmes ambitions qui jusque-là avaient primé tout.
Si c’était cela, c’était bien la lutte suprême qu’avait pressentie Pardaillan, et qui ne pouvait se terminer, cette fois, que par la mort d’un des deux irréductibles adversaires.
Peut-être… Mais qui pourrait dire avec Fausta ?
Quoi qu’il en soit, ce matin-là, de grand matin, nous retrouvons Fausta dans son cabinet, toujours souverainement calme, en apparence. Nous la retrouvons au moment où elle congédie d’Albaran à qui elle vient de confier ses ordres.
Nous suivrons un instant le colosse espagnol qui nous ramènera tout naturellement, lui, à ceux à qui nous avons affaire et dont les faits et gestes nous intéressent particulièrement pour le moment.
Après s’être incliné devant Fausta avec ce respect fait d’adoration religieuse que lui témoignaient tous ses serviteurs, d’Albaran sortit et s’en fut aux écuries. Au bout de quelques minutes, il sortit de l’hôtel. Il était à cheval, deux de ses hommes, taillés en hercules le suivaient, à cheval comme lui. Au pas, comme des gens qui ne sont pas pressés, ils s’en allèrent vers la rue Saint-Honoré.
Ils n’avaient pas fait dix pas dans la rue Saint-Nicaise qu’un homme, sorti on ne savait d’où, se mit à les suivre. C’était Gringaille. Il était à pied, lui. Mais rue Saint-Honoré, il pénétra dans la première auberge qu’il trouva sur son chemin. Quand il ressortit, moins d’une minute après, il était monté, lui aussi, sur un vigoureux coursier. D’Albaran n’avait pas eu le temps d’aller bien loin. Il aperçut de suite sa haute silhouette. Il se remit à le suivre.
Toujours au pas et toujours suivi à six pas de ses deux serviteurs, d’Albaran s’en alla sortir de la ville par la porte Montmartre. Quand il fut hors de l’enceinte, il mit son cheval au trot. Mais on voyait qu’il ne paraissait pas pressé, et il avait l’air de faire une simple promenade.
Gringaille le suivit ainsi jusque dans les environs des Porcherons. Là, soit qu’il en eût assez, soit qu’il fût fixé sur le but de cette promenade apparente, il fit faire volte-face à son cheval et revint à Paris, au galop. Il s’en fut tout droit à la fameuse auberge de la
Truie qui file,
laquelle, nous croyons l’avoir dit, était située rue du Marché-aux-Poirées, à deux pas de la rue de la Cossonnerie. Là, il laissa son cheval.
Quelques minutes plus tard, il se trouvait devant Pardaillan et Valvert. Il était attendu avec impatience, paraît-il car, dès qu’il parut, Pardaillan s’informa vivement :
– Eh
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