La force du bien
pour un nombre considérable de croyants… Loin de moi l’idée de sous-estimer le caractère essentiel de l’engagement du jeune Karol Wojtyla dans les ordres ! Je veux au contraire attirer l’attention sur ce point : en même temps que s’approfondissaient les exigences de sa foi, ce jeune homme participait à la fabrication, à l’intérieur de l’évêché, de faux papiers destinés à des résistants polonais et juifs.
Mais c’est ainsi : Jean-Paul II estime que cela est peu, que cela n’est rien. Avant sa désarçonnante réponse de la salle des audiences, j’avais eu l’occasion de l’interroger là-dessus, et, c’est vrai, il avait toujours éludé ces questions, quoique sans en démentir le présupposé selon lequel il a, de fait, confectionné des faux papiers.
Si seulement ils avaient été plus nombreux à pratiquer, comme lui, ce rien !
Pour faire pièce à mes scrupules, je me suis fait adresser, par les services cinématographiques du Vatican, le film de la visite rendue par Jean-Paul II à la grande synagogue de Rome, afin d’en intégrer un fragment dans mon film, Tzedek, Les Justes .
Cette visite du 13 avril 1986 est en effet d’une grande portée symbolique. Ce fut la première fois depuis saint Pierre – c’est-à-dire depuis le premier pape qui, lui, faisait le tour de toutes les synagogues de la Méditerranée pour prêcher aux Juifs l’abandon de leur religion en faveur de celle de Jésus – qu’un pape a traversé le Tibre pour aller, sur la rive d’en face, s’adresser au grand rabbin Élie Toaff en lui déclarant : « Je viens saluer mon frère aîné !»
Et je ne peux pas oublier que le grand rabbin Élie Toaff a, de son côté, été sauvé à deux reprises par des petits curés de campagne…
Enfin, comment ne pas se souvenir de la déclaration adoptée en 1948 par l’Assemblée annuelle des catholiques allemands ? Je la cite ici pour mémoire, et non comme conclusion – peut-il y avoir une « conclusion » à l’interrogation sur la Shoah ? Voici cette déclaration.
« En face de l’immensité des souffrances qui ont été infligées aux hommes d’ascendance juive, au cours d’une marée de crimes jamais officiellement reconnus, la soixante-douzième Assemblée des catholiques allemands, animée de l’esprit de repentance chrétien à l’égard du passé, déclare que les injustices qui ont eu lieu exigent réparation… »
55.
« Difficile de juger , m’avait dit le président lituanien Vitas Landsbergis. Si vous passez à côté d’une rivière et que vous apercevez quelqu’un en train de se noyer non loin de la rive où vous êtes, vous vous précipitez à son secours – mais, si vous vous trouvez sur l’autre rive, ça n’est pas si simple . »
Un Juste de Turquie, Selahattin Ulkumen, avait utilisé la même métaphore : « Je ne comprends pas pourquoi tant de gens n’ont rien fait pour sauver les Juifs. C’est comme lorsque quelqu’un est en train de se noyer. Je ne parviens pas à comprendre qu’on puisse rester passif et ne pas tendre la main pour sauver une vie . »
Pourtant, aujourd’hui même, d’autres massacres sont perpétrés à travers le monde sans que les nations interviennent, sauf s’il y va de leurs intérêts directs.
Et les individus ?
Avons-nous appris quelque chose de l’Histoire ?
Cinquante ans après l’hécatombe de la Seconde Guerre mondiale et après le massacre des Juifs, trouverions-nous plus facilement qu’hier l’équivalent de ces trente-six Justes que les Écritures nous disent indispensables à la survie du monde ?
Je comprends mieux l’exigence de Marc Bloch de toujours interroger les morts. « Depuis la quatre-vingt-dix-septième génération , précise l’Ecclésiaste, jusqu’à la dernière . » Ainsi de ce simple curé de campagne aujourd’hui disparu, Dom Celacci, qui, par son intervention, a sauvé Élie Toaff, le futur grand rabbin de Rome, et sa famille. Celui-ci se souvient avec émotion de toute cette époque, et sourit, le regard encore plein d’émerveillement et de reconnaissance pour évoquer le soutien apporté par la population italienne aux Juifs persécutés.
« Quand nous avions faim, dit-il, on nous donnait à manger… »
Il faut souligner ici le rôle de cette population, qui, en dépit de plus de vingt ans de dictature fasciste, n’a pas hésité à venir en aide aux Juifs. Ainsi, sur sept mille Juifs romains, quatre
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