Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours

La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours

Titel: La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christophe Verneuil
Vom Netzwerk:
freezer, o˘ il n'y avait qu'une épaisse couche de givre.
    Zeb essaya de se rappeler quand il était allé au supermarché pour la dernière fois. Des jours, peut-
    être même des semaines s'étaient écoulés depuis les dernières commissions. Dans son univers o˘ seule la lune existait, le temps n'avait plus sa place. quand avait-il pris son dernier repas ? Cela non plus, il ne le savait pas. Il avait mangé un peu de riz au lait en boîte, mais était-ce ce matin, hier ou il y a deux jours ?
    Zebediah Lomack fut si choqué du tour que prenaient les choses que son esprit se désembruma pour la première fois depuis des semaines. Pour la première fois, il vit-il vit vraiment-dans quelle pagaille il vivait. Les détritus jonchaient le plancher: canettes de jus de fruits gluantes, cartons de céréales vides, une vingtaine de briques de lait, plusieurs dizaines de sacs de chips ou de bonbons froissés. Sans parler des cafards. Ils grouillaient littéralement, grimpaient sur les ordures, couraient sur le carrelage et sur les murs, se promenaient dans l'évier.
    ´ Mon Dieu, dit Zeb d'une voix mourante, qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qui m'arrive ? ª
    Il se prit la tête dans les mains et sursauta en constatant qu'il était barbu. Lui qui était toujours impeccable. Il était pourtant persuadé de s'être rasé le matin même. Paniqué, il courut vers la salle de bains pour se regarder dans la glace. Il découvrit un étranger sale les cheveux gras et emmêlés, une barbe de quinze jours collée par les restes de repas, les yeux fous. Il prit conscience de son odeur corporelle, si forte qu'il faillit en vomir. Il n'avait pas d˚ prendre de bain depuis plusieurs semaines.
    Il avait besoin d'aide. Il était malade. Dans son corps et son esprit. Il ne comprenait pas ce qui lui était arrivé, mais il savait qu'il devait décrocher le téléphone et appeler au secours.
    Mais il ne le fit pas tout de suite parce qu'il avait peur qu'on le prenne pour un fou et qu'on l'enferme à tout jamais. Comme on avait enfermé son père. Zebediah avait huit ans à l'époque. Son père poussait des hurlements affreux, disait que des lézards lui grimpaient dessus. Les médecins s'étaient efforcés de le désintoxiquer à l'hôpital. Les lézards s'étaient enfuis la folie était restée. Depuis ce jour, Zeb avait peur de subir le même sort. Il se regarda une fois de plus dans le miroir et sut qu'il ne pourrait demander de l'aide qu'une fois présentable, une fois la maison rangée et nettoyée.
    N'ayant pas la force de soutenir son propre regard plus longtemps, il décida de commencer par la maison.
    La tête baissée pour ne pas voir les lunes qui exer-
    çaient sur lui la même attraction que sur les océans terrestres, il fonça dans la chambre, ouvrit le placard repoussa les vêtements et se saisit d'une carabine Remington ainsi que d'une boîte de cartouches de calibre 12. Sans relever la tête, il revint dans la cuisine, chargea l'arme et la déposa sur la table. A haute voix il passa un contrat avec lui-même:
    ´ Tu vas balancer tous tes bouquins sur la lune et arracher les posters pour que cette maison ait l'air à
    nouveau vivable, ensuite, tu prendras un bain, tu te coifferas et tu te raseras. Comme ça, tu auras peut-être les idées assez claires pour savoir ce qui t'arrive et aller demander de l'aide. ª
    Le fusil de chasse était tacitement inclus dans le contrat. S'il ne pouvait résister au chant de sirène de la lune, il prendrait son arme, placerait le canon dans sa bouche et appuierait sur la détente.
    La mort valait mieux que cette décrépitude.
    Elle valait aussi mieux que l'enfermement à vie, comme son père.
    De retour dans le living, les yeux baissés, il ramassa des livres. Leurs jaquettes avaient jadis comporté des photographies, mais il les avait découpées pour les mettre aux murs. Il en prit une pleine brassée et alla la porter dans la cour o˘ un barbecue était installé
    entre des parpaings. Après quelques voyages, il avait déjà entassé deux cents ouvrages.
    Dominick, Ginger, Faye, Ernie... Les noms de ces gens qu'il savait connaître et dont il ignorait pourtant tout revinrent brusquement le hanter. Si au moins il avait pu dire qui ils étaient...

    La neige qui recouvrait son jardin brillait d'une étrange lueur. Zeb se mit à grelotter. Malgré lui, il leva la tête. Le ciel était pratiquement sans nuages. Une face livide l'observait, terrible, impitoyable.
    Il dit: ´ La lune.

Weitere Kostenlose Bücher