La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
tout humide, Mort grogna: ´ Je reconnais que ça peut enlever une épine du pied... ª
Tommy et Jack éclatèrent de rire, imités bientôt par Mort.
Ć'est le plus gros coup qu'on ait jamais fait, dit Jack. Net d'impôts, de surcroît ! ª
Soudain, tout cela leur parut à hurler de rire.
Tommy se plaça à une centaine de mètres derrière un véhicule d'entretien des autoroutes dont les lampes jaunes lançaient des éclairs réguliers; ils roulaient à
un train de sénateur, tout en évoquant avec jubilation les temps forts de leur retraite précipitée.
Les trois hommes rirent longuement, puis redevinrent silencieux. Tommy dit enfin: ´ Jack, je t'assure, c'était vraiment un coup de maître. La façon dont tu as utilisé ton ordinateur pour créer une société bidon et faire livrer la caisse... sans parler du petit bidule électronique pour ouvrir le coffre... Tu es vraiment un sacré organisateur.
-Mieux que ça, dit Mort. Tu réagis au quart de poil au moindre problème. Tu penses à la vitesse de l'éclair, mon vieux. Si tu voulais devenir honnête et mettre tes talents au profit d'une bonne cause, je me demande jusqu'o˘ tu irais.
-Une bonne cause ? dit Jack. S'enrichir, ce n'est pas une bonne cause, ça ?
-Tu sais bien de quoi je veux parler, reprit Mort.
-Je ne suis pas un héros, dit Jack. Je ne veux pas faire partie des gens honnêtes, comme on dit. Pour moi, ce sont tous des hypocrites. Ils parlent de liberté, de justice sociale, de vérité, de conscience, mais ils se marchent dessus à la moindre occasion. Et ça, ils ne veulent pas le reconnaître. Moi, je le reconnais: je veux être le premier, c'est aussi simple que cela. ª Le ton de sa propre voix le surprit. ´ La bonne cause, hein ?
Passe ta vie à te battre pour la bonne cause, et les honnêtes gens te baiseront tous à la moindre occasion.
qu'ils aillent se faire foutre !
-Oh ! là ! je ne voulais pas te mettre en colère ª, dit Mort.
Jack ne répondit pas. Il était perdu dans ses souvenirs. Des souvenirs plutôt amers. Au bout de plusieurs kilomètres, il répéta: ´ Je ne suis pas un héros. ª
quelques jours plus tard, quand il se souviendrait de ses paroles, il se demanderait comment il avait fait pour se tromper autant sur son propre compte.
Il était une heure douze du matin, le mercredi 4 décembre.
Chicago, Illinois
A huit heures vingt, en ce matin du jeudi 5 décembre, le père Stefan Wycazik avait déjà célébré la première messe, pris son petit déjeuner et gagné son bureau au rectorat. Levant les yeux, il se tourna vers la grande fenêtre à la française qui donnait sur les arbres dénudés et couverts d'une cro˚te neigeuse de la cour, et essaya de ne plus évoquer les problèmes de la paroisse.
Ce moment lui appartenait, et il y tenait énormément.
Pourtant, ses pensées revenaient inexorablement vers le père Brendan Cronin. Le prêtre fou de la paroisse Sainte-Bernadette, comme le disaient déjà
certains. Brendan Cronin. Cela n'avait pas de sens.
Le père Stefan Wycazik était prêtre depuis trente-deux ans et recteur de l'église Sainte-Bernadette depuis près de dix-huit ans. Il n'avait jamais été torturé par le doute. Ce concept même lui échappait.
Une fois ordonné prêtre, on lui assigna la cure de Saint-Thomas, une petite paroisse de campagne de l'Illinois dont le père Dan Tuleen, ‚gé de soixante-dix ans, était le pasteur. Le père Tuleen était l'homme le plus doux, le plus sentimental, le plus délicieux et doté
du caractère le plus charmant que Stefan Wycazik e˚t jamais connu. Affaibli par l'arthrite et une vision défaillante, le vieux prêtre n'était plus en mesure de tenir sa paroisse. On aurait forcé tout autre homme que lui à prendre sa retraite, à se retirer; mais cela faisait quarante ans que Dan Tuleen était le confesseur de ses ouailles et qu'il était des leurs, et on l'avait autorisé à rester. Le cardinal, grand admirateur du père Tuleen, avait cherché quel curé serait capable de prendre des responsabilités bien plus grandes que celles qui sont d'habitude le lot des jeunes prêtres, et s'était finalement décidé pour Stefan Wycazik. Il n'avait fallu qu'un jour à ce dernier pour comprendre exactement ce que l'on attendait de lui, et cela ne l'avait pas intimidé. Il avait pris en charge pratiquement tout le travail de la paroisse. Peu de débutants auraient été à la hauteur d'une telle t‚che. Le père Wycazik ne douta jamais qu'il en serait
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