La fuite du temps
avec qui ils semblaient s'être raccommodés après son départ
précipité de la maison.
— Je suis même
allée voir son appartement, annonça fièrement Pauline.
— Puis? demanda
Laurette, cherchant à deviner si elle savait que sa fille fréquentait un
prêtre.
— C'est pas parce
que c'est ma fille, mais elle l'a ben arrangé. Tout est ben placé et ben
propre. C'est ben simple, je la reconnais plus. J'aurais jamais cru qu'elle
aurait autant d'ordre. T'aurais dû voir sa chambre à la maison quand elle
restait avec nous autres. Je passais mon temps à la chicaner.
Il faut croire
que ça a servi à quelque chose.
Laurette ne
disait rien, guettant la moindre allusion au fait que sa nièce fréquentait ou
habitait avec un homme.
Rien. Elle finit
par demander: — Louise vit toute seule? — Ben oui.
— Elle a pas
encore remplacé son Robert? — Elle l'a pas encore oublié, je pense ben, dit
Pauline sur un ton convaincu.
— Elle doit
trouver ça plate de se retrouver toute seule dans son appartement après sa
journée d'ouvrage, ajouta hypocritement Laurette.
— Si elle trouve
ça plate, c'est tant pis pour elle, intervint Armand. Elle avait sa chambre à
la maison et on lui chargeait pratiquement rien de pension. Si elle s'ennuie
trop, elle sait quoi faire. Elle a qu'à revenir.
— En tout cas, on
l'a ben avertie de pas chercher à entraîner sa soeur, Suzanne, à aller vivre
avec elle, reprit Pauline d'une voix tranchante. Ça, par exemple, on
l'endurerait pas.
299
Le lendemain
matin, Carole prévint sa mère qu'elle rentrerait plus tard ce soir-là.
— Le boss est pas
de bonne humeur depuis une couple de jours. Il nous a averties hier après-midi
qu'on travaillait pas assez vite à son goût. On va être obligées de faire de
l'overtime au moins à soir et on sera même pas payées pour ça.
— En plein
vendredi! s'étonna Laurette. Il me semble qu'il aurait pu vous faire faire ça
un autre soir.
— On n'a pas le
choix.
— Au moins, ma
petite fille, tu vas profiter de l'air climatisé, lui fit remarquer sa mère au
moment où sa cadette s'emparait du sac en papier kraft dans lequel elle venait
de mettre son repas du midi. Il est même pas huit heures, et il fait déjà
chaud.
À ce moment-là,
rien ne laissait présager que cette journée de la mi-août allait devoir être
marquée d'une croix noire dans la vie de Carole Morin.
Vers trois
heures, Laurent Pronovost, son patron, ouvrit la porte de son bureau.
— Mademoiselle
Morin, vous passerez me voir dans dix minutes, lui commanda-t-il avant de
refermer sa porte.
Surprise, la
jeune fille jeta un coup d'oeil interrogateur à Germaine Longpré, la secrétaire
personnelle du patron.
Cette dernière
haussa les épaules en signe d'ignorance.
L'homme était
frigorifiant et avait la réputation, justifiée, d'être d'un abord peu facile.
Il n'avait pas l'habitude de convier inutilement dans son bureau l'une des
douze secrétaires de son département. Habituellement, il se contentait de
remettre le travail à exécuter à sa secrétaire personnelle et cette dernière
faisait la répartition des tâches avec une impartialité digne de mention.
— D'après toi,
qu'est-ce qu'il me veut? demanda Carole à mi-voix à la jeune femme qui
travaillait au bureau voisin.
300
Son amie Valérie,
celle qui lui avait fait rencontrer André Cyr, avait l'air aussi surprise
qu'elle par cette convocation.
— Je le sais pas,
se contenta-t-elle de lui répondre. Il veut peut-être te donner une
augmentation...
— Moi, je pense
plutôt qu'il veut encore me faire changer la date de mes vacances, avança
Carole, pessimiste.
Là, j'ai des
nouvelles pour lui. Il me fera pas le coup qu'il m'a fait les deux dernières
années. Je suis peut-être la moins ancienne au bureau, mais j'ai tout de même
le droit d'avoir au moins une semaine de vacances durant l'été.
Cette semaine
prévue à la fin du mois d'août, elle l'avait demandée dans l'intention de s'en
servir pour se trouver un petit appartement et y emménager. Elle en avait
absolument besoin. Plus tard que ça, sa grossesse se verrait et...
— Mademoiselle
Morin, je pense que vous êtes mieux d'y aller, dit Germaine Longpré en lui
montrant la porte du bureau.
Carole se leva et
se dirigea vers le bureau de son patron, bien déterminée à défendre sa semaine
de vacances. Elle
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