La fuite du temps

la victoire à son adversaire
unioniste tout en déplorant qu'avec à peine quarante et un pour cent des votes,
ce dernier ait pu remporter cinquante-six des cent huit comtés de la province.
Il ne parvint pas à cacher sa frustration en affirmant que sa défaite n'était due
qu'à une carte électorale qui favorisait indûment ses adversaires, son parti
ayant récolté presque sept pour cent de plus de votes que l'Union nationale.
     
    — Ça y est! hurla
Gérard, au comble de l'excitation.
     
    On a gagné. A
cette heure, on va avoir un vrai premier ministre.
     
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    — Bon. C'est
enfin réglé, déclara Pauline Brûlé en se levant. On va pouvoir aller se
coucher.
     
    — Bonne idée! dit
Marie-Ange en l'imitant. Grouillez-
    vous, les hommes.
Vous avez empêché assez longtemps Laurette et Carole d'aller se coucher.
     
    L'air un peu
déconfit, Armand et Bernard se levèrent.
     
    — Vous devriez
rester un peu pour écouter le discours de Johnson, les taquina Gérard.
     
    — Laisse faire,
on va l'entendre ben assez dans les années qui s'en viennent, rétorqua Bernard,
dépité par la victoire de l'Union nationale.
     
    — Bon. On vous
remercie pour toutes vos politesses, dit Armand. Ça va être à votre tour de
vous déranger pour venir veiller à la maison, ajouta-t-il en embrassant sa
soeur et en serrant la main de son beau-frère.
     
    Gérard, Laurette
et leurs enfants raccompagnèrent leurs visiteurs jusqu'à la grande cour et les
virent s'entasser dans la Dodge d'Armand. Ils rentrèrent dès que les feux
arrière du véhicule eurent disparu sur la rue Archambault.
     
    — On va avoir de
la misère à dormir avec une chaleur pareille, dit Gérard en verrouillant la
porte arrière.
     
    — Oui, acquiesça
sa femme. Dire qu'on n'est même pas encore en été. En tout cas, on en a au
moins fini avec ces maudites élections-là et on va pouvoir regarder nos
programmes tranquilles.
     
    Chapitre 9
    UNE EXPÉRIENCE
    Le mois de juin
1966 fut d'une douceur extraordinaire.
     
    Il y eut bien
quelques pluies, mais elles eurent le bon goût de ne tomber que la nuit, comme
si elles ne cherchaient qu'à raviver les odeurs entêtantes des lilas qui
poussaient dans la cour du presbytère de la paroisse, sur la rue Fullum.
     
    Chaque matin,
Laurette s'empressait de sortir sur le balcon pour respirer l'air frais du
matin avant d'allumer sa première cigarette de la journée.
     
    Ce jour-là,
Carole vint la rejoindre, déjà habillée et maquillée, prête pour sa journée de
travail.
     
    — A partir de
demain, il va y avoir pas mal plus de bruit, lui dit sa mère. Les enfants vont
tomber en vacances et ça va crier du matin au soir autant dans la cour que dans
la rue.
     
    — Ça rappelle des
beaux souvenirs, murmura la jeune fille, un peu nostalgique.
     
    — Parle pour toi,
ma fille, fit sa mère. Pour les mères de famille, c'est une autre paire de
manches quand leurs enfants leur restent sur les bras pour tout l'été.
     
    — Oui, mais nous
autres, on n'était pas tannants.
     
    — C'est toi qui
le dis. Tes frères arrêtaient pas de se chamailler et il y avait des jours où
tu donnais pas ta place, toi aussi.
     
    — Le pire,
c'était tout de même Richard, m'man.
     
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    — Lui, c'est
presque un miracle qu'il vive encore, l'escogriffe. J'aurais pu l'assommer deux
fois par jour quand il était jeune. Une chance qu'il s'est un peu replacé en
vieillissant.
     
    Il y eut un long
silence entre la mère et la fille avant que Laurette se décide à aborder un
sujet qu'elle avait soigneusement évité depuis près d'un mois.
     
    — Dis donc.
Est-ce que je peux savoir ce qui s'est passé avec André Cyr? — On a cassé,
m'man, se contenta de dire Carole d'une voix blanche.
     
    — Je le vois ben
que vous avez cassé, répliqua Laurette avec humeur. Je suis pas devenue
aveugle. Je me suis ben aperçue qu'il mettait plus les pieds ici dedans, mais
ça me dit pas ce qui s'est passé.
     
    — Rien, m'man,
mentit Carole. Il y a juste que je me suis tannée de sortir avec un gars qui
avait jamais une cenne dans ses poches.
     
    — Si tu veux mon
avis, c'est pas le pire coup que tu pouvais faire, l'approuva sa mère,
satisfaite. Bon débarras!
     
    Tu vas ben finir
par te trouver un gars qui a du bon sens dans le coin.
     
    — Ça presse pas,
dit sa fille d'une voix tranchante avant d'entrer dans la maison. Bon. Il faut
que j'y aille, ajoutât-
    elle en se
dirigeant vers le réfrigérateur pour y