La fuite du temps

prendre son goûter. À force de traîner,
je vais finir par arriver en retard à l'ouvrage.
     
    Pour la première
fois depuis qu'elle était enceinte, elle n'avait éprouvé aucune nausée au lever
et avait déjeuné avec un rare plaisir. Elle quitta l'appartement et, tout en
marchant vers l'arrêt d'autobus, coin Fullum et Sainte-
    Catherine, elle
songea aux dernières paroles de sa mère.
     
    — Je vais en
trouver encore, un gars prêt à me marier avec un petit sur les bras! se
dit-elle, la mort dans l'âme.
     
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    La veille, en
début de soirée, la jeune fille avait eu de légères pertes de sang, ce qui lui
avait fait espérer perdre son bébé. Pendant quelques heures, elle avait même
prié pour que cela se produise. Malheureusement, ça s'était replacé et ce
matin, tout semblait être rentré dans l'ordre.
     
    Le lendemain
soir, Pierre et Denise Crevier vinrent rendre visite aux Morin en compagnie de
leurs trois enfants. Les jeunes parents s'apprêtaient à prendre la direction du
lac Blanc pour le long congé de la SaintJean-
     
    Baptiste. Les
ressorts de la Malibu familiale semblaient sur le point de rendre l'âme tant le
véhicule semblait surchargé de bagages. Alain, Denis et Sophie entrèrent chez
leurs grands-parents en chahutant.
     
    — Bon. Vlà les
petits diables, plaisanta Laurette en les embrassant avec effusion.
     
    — Bonsoir,
grand-mère, dirent-ils.
     
    — Je suppose que
t'es content de plus avoir d'école? dit la grand-mère à l'aîné.
     
    — C'est sûr,
grand-mère. Je suis en vacances jusqu'au mois de septembre.
     
    — Est-ce que vous
avez soif? demanda-t-elle aux trois enfants qui l'entouraient. J'ai une grosse
bouteille de cream soda pour vous autres.
     
    — Faites-les pas
trop boire, madame Morin, s'interposa en riant son gendre. On s'en va à
Notre-Dame-dela-
    Merci et je vais
passer mon temps à m'arrêter sur le bord du chemin pour leur permettre de
pisser.
     
    — On arrête juste
vous dire bonsoir en passant, dit Denise. On s'en va sur notre lot. Pierre a
pas mal travaillé dessus depuis le mois d'avril.
     
    — Et vous devriez
voir celui de Gilles, reprit Pierre.
     
    Il est pas mal
pan toute.
     
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    — Il est parti
là-bas à matin, annonça Gérard en invitant de la main son gendre à s'asseoir.
     
    — Est-ce que ça
veut dire que vous serez même pas là pour la parade? demanda Laurette.
     
    — Ben non, m'man,
répondit sa fille. On va être ben mieux à la campagne, sur le bord du lac.
     
    — Vous devriez
venir avec nous autres, proposa aimablement son gendre. Je suis certain que
vous haïriez pas ça.
     
    On a deux grandes
tentes et vous auriez en masse de la place pour coucher.
     
    — On est ben trop
vieux pour commencer à coucher à terre, lui fit remarquer sa belle-mère.
     
    — Ben non, madame
Morin. À part ça, on a des matelas pneumatiques. On a juste à les gonfler. Vous
seriez ben en sacrifice, c'est moi qui vous le dis. En plus, je suis sûr que ça
ferait ben plaisir à Gilles que vous alliez voir tout ce qu'il a fait depuis le
commencement du printemps sur son lot. Vous verriez que ça a pas mal d'allure.
     
    — Et notre lot
aussi est pas mal défriché, ajouta Denise avec fierté.
     
    — Sans parler,
beau-père, que ce voyage-là décrasserait sérieusement le moteur de votre char.
Vous faites juste de la ville avec votre Chevrolet. Le moteur va finir par
pomper l'huile.
     
    — Je sais pas
trop, dit Gérard d'une voix hésitante.
     
    C'est loin en
taboire votre affaire...
     
    — Pas si loin que
ça, p'pa, reprit sa fille aînée. Ça prend pas plus qu'une heure et demie pour
se rendre là.
     
    — Vous prenez le
pont Pie IX et vous avez juste à suivre la 125 jusqu'à Notre-Dame-de-la-Merci,
poursuivit Pierre avec enthousiasme. Après, vous prenez la petite route à côté
de l'église et vous pouvez pas nous manquer. Le lac Blanc est ben indiqué. Le
chemin est beau. Venez donc. Les petits seraient contents et ça vous
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    ferait prendre
l'air. On pourrait même aller pêcher si ça vous tente.
     
    Gérard,
sérieusement alléché, jeta un regard interrogateur à sa femme qui ne semblait
pas encore décidée.
     
    Denise insista.
     
    — Venez donc,
m'man. Ça va vous faire du bien de
    sortir de la
ville. Vous allez être ben avec nous autres.
     
    — Ben. Si c'est
comme ça, on va y aller, déclara Laurette en sortant de son indécision. Dis-moi
ce que tu veux qu'on apporte.
     
    — Apportez