La Gloire Et Les Périls
l’étranger.
Mais revenons, lecteur, à nos moutons. Poursuivant ses
consultations, le cardinal se tourna vers Schomberg et lui demanda d’opiner à
son tour sur l’assaut projeté.
Or, Schomberg était, certes, un homme simple et rugueux,
mais il ne manquait pas de finesse, au rebours de ce que pensait Bassompierre.
Et dans sa réponse, il trouva le moyen de rendre hommage au duc d’Angoulême
tout en rebuffant implicitement Bassompierre.
— Monsieur le Cardinal, la seule question raisonnable
qui se puisse poser en l’occurrence est de savoir, comme a si bien dit
Monseigneur d’Angoulême, si l’assaut est faisable. Et pour le savoir, il faut primo trouver dans la fortification de l’ennemi le point le plus faible ou le moins
surveillé. Secundo , il faut aussi posséder les moyens de pétarder une
herse et une puissante porte aspée de fer. Et pour l’accomplir, il faut des
pétards et des pétardiers. Or, nous n’en avons pas céans pour la raison qu’au
début de ce siège, nous avons compté sur le temps et la famine pour venir à
bout de La Rochelle.
— Cette omission, dit le cardinal, sera incontinent
réparée, pour peu que vous me disiez où se peuvent trouver pétards et
pétardiers.
— Les premiers, répondit Schomberg, se fabriquent à
Saintes et les seconds se recrutent surtout à Paris.
— Je vais donc y pourvoir, dit le cardinal en se
levant. Messieurs, dit-il, je vous remercie infiniment de vos précieux avis.
Notre trio se leva alors et, après un échange de salutations
dont aucune ne fut abrégée, se retira. Le duc d’Angoulême le premier, non en sa
qualité de duc – les maréchaux étant hors pair avec la noblesse de
France –, mais parce qu’il était prince du sang, quoique bâtard.
— Messieurs, dit Richelieu, l’huis étant clos sur les
chefs de nos armées, demeurez céans : vous allez en savoir davantage.
C’est jeter beaucoup de choses au hasard que de lancer un assaut contre une
ville aussi bien fortifiée que La Rochelle, mais à cela il y a une raison que
nos généraux et en particulier Monsieur de Bassompierre n’ont pas à
connaître : nous sommes confrontés à une situation gravissime : le gouverneur
de Milan vient de mettre le siège devant Casal.
Belle lectrice, si j’interromps mon récit pour m’adresser à
vous, c’est de prime que, si fort que j’admire le cardinal et estime Guron et
le père Joseph, j’ai besoin, à cet instant, d’une bouffée de grâce et de
douceur. Car il faut bien avouer que je ne trouve céans que des ennemis de
votre gentil sesso. Pour le cardinal, les femmes sont d’« étranges
animaux » ; pour le père Joseph, des démons incarnés dont l’ancêtre
nous a perdu le paradis. Quant à Monsieur de Guron, si on lui donnait à choisir
entre la plus belle garcelette et un rôt de mouton bien rôti, il choisirait le
rôt. Raison pour laquelle, belle lectrice, je tire à la dextre de la vôtre ma
chaire à bras et, penché sur vous, je me propose de vous instruire plus avant
dans la présente affaire.
Ce que Richelieu vient d’appeler Casal n’est pas
ville française mais italienne, située dans le sud oriental du Piémont, et son
vrai nom est Casale [43] . Mais
vous connaissez comme moi la funeste habitude française de franciser les noms
étrangers. C’est ainsi que London est devenu Londres, et du diantre si je sais
pourquoi le don que les Anglais prononcent deun est devenu dres en français, et pourquoi Buckingham, nom élégant et sonore, est devenu en
français Bouquingan qui est fade, nasal et boutiquier. Pour en revenir à
Casale, la ville est la capitale du Monferrato (que nous appelons, bien
entendu, Montferrat), possession légitime, comme le Mantouan, de
Gonzague de Mantoue. Ce Gonzague est lui-même prince italien mais, « ayant
les fleurs de lys fort avant imprimées dans le cœur », il aime les
Français, se trouvant en retour aimé d’eux et soutenu aussi. Et le pauvre
prince a, de reste, bien besoin de soutien, ses possessions étant fort
convoitées et par son voisin, le duc de Savoie, et par les Espagnols établis
dans le Milanais.
Or, Casal (je reprends céans, la mort dans l’âme,
l’orthographe et la prononciation du cardinal) possédait une valeur stratégique
considérable, car la ville commandait le passage du Pô, et par voie de
conséquence, l’entrée dans le Milanais. Raison pour laquelle les Espagnols,
pour empêcher que Milan tombât un jour dans les mains
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