La Gloire Et Les Périls
les
finances du royaume et les forces des soldats. Qu’en êtes-vous apensé,
Monseigneur ? dit-il en se tournant vers le duc d’Angoulême.
— Ce serait une bonne chose, en effet, pour peu qu’elle
soit faisable, dit le duc d’Angoulême qui avait plus de bon sens que de génie.
— Monsieur de Schomberg, dit Richelieu,
qu’opinez-vous ?
Mais s’interrompant aussitôt pour ce qu’il venait de se
ramentevoir que Schomberg n’avait été nommé maréchal qu’en 1625, alors que
Monsieur de Bassompierre avait accédé à cette dignité trois ans plus tôt, il se
tourna vers lui et lui dit sur le ton le plus courtois :
— Pardon, Monsieur de Bassompierre, j’oubliais votre
ancienneté.
— Il n’y a ni dol ni dommage, dit aimablement
Bassompierre qui, en fait, n’aurait jamais oublié, ni pardonné une telle
entorse aux règles hiérarchiques, étant fort haut de sa nature et s’estimant,
en outre, bien au-dessus de Schomberg par ses talents.
Il n’en faisait, de reste, pas mystère, et chaque fois qu’un
caquet de Cour me répétait ses propos offensants, sans doute dans l’espoir que
je les répétasse à Monsieur de Schomberg, ce que je me gardais comme de peste,
je m’apensais que si Bassompierre, en effet, l’emportait sur Schomberg par ses
brillantes qualités, Schomberg, en revanche, montrait en toutes occasions à Sa
Majesté une adamantine fidélité dont il y avait belle heurette que Bassompierre
ne pouvait plus se vanter, ayant succombé aux charmes et aux maléfices des
vertugadins diaboliques. Mais je ne veux pas revenir là-dessus, ayant conté les
complots contre le roi et le cardinal dans le précédent tome de mes Mémoires.
— Qu’opinez-vous, Monsieur de Bassompierre, de cet
assaut ? dit le cardinal.
Bassompierre se tut si longtemps qu’on eût pu croire qu’il
refusait de répondre. Mais c’était là seulement un de ses méchants tours, à la
limite de l’insolence, qu’il jouait parfois au roi lui-même en ses Conseils, en
restant muet comme carpe quand Sa Majesté lui demandait d’opiner. Toutefois, au
rebours de Louis qui s’en irritait, et le laissait paraître par de vifs
reproches, le cardinal ne battit pas un cil et, la face imperscrutable,
attendit avec une patience en apparence évangélique que le maréchal voulût bien
répondre.
— Monsieur le Cardinal, dit à la parfin Bassompierre
d’un ton détaché, comme si l’affaire ne le concernait en aucune manière, un
assaut serait assurément propre à empêcher les armées (il ne dit pas « les
armées de Sa Majesté » comme tout autre aurait fait à sa place) de
s’enliser dans l’inaction. Mais à la vérité, il est malheureusement à prévoir
que cet assaut aboutirait à un échec.
Le duc d’Angoulême s’émut de ce propos et ayant gardé,
barbon, la vivacité de sa jeunesse, il dit avec quelque véhémence :
— Qui pourrait dire, à’steure, d’un assaut s’il
succédera ou échouera ?
Bassompierre, sans faire au duc l’aumône d’un regard ni
d’une réponse, se tourna alors vers Richelieu et dit :
— Monsieur le Cardinal, je vous ai donné mon avis.
— Et je vous en remercie, Monsieur le Maréchal, dit
Richelieu sans trahir en aucune façon l’antipathie que les manières déprisantes
de Bassompierre à l’égard d’Angoulême lui inspiraient.
Pour moi, j’entendis bien qu’en se prononçant d’ores et déjà
pour la probabilité d’un échec, Bassompierre faisait un pari peu risqué. Si
l’assaut succédait, on oublierait, dans l’ivresse de la victoire, sa prédiction
pessimiste, et s’il échouait, il pourrait parcourir le camp en disant :
« Ne l’avais-je pas prévu ? »
Quand plus tard je fis part de cette observation à Monsieur
de Guron, il me répondit :
— Mais c’est aussi une insolence à l’égard du cardinal
qui a conçu cet assaut.
— Et c’est surtout, remarqua le père Joseph, que tout
en faisant bien céans son métier de soldat, Bassompierre ne souhaite pas que Sa
Majesté réussisse à se saisir de La Rochelle. Ramentez-vous ce qu’il a osé dire
au début de ce siège ? « Vous verrez que nous serons si fols que de
prendre La Rochelle. » Bassompierre n’ignore pas que la prise de la forteresse
huguenote aurait un fort retentissement en Europe et que la gloire qu’en
tireraient le roi et Richelieu serait si grande que les complots contre eux ne
trouveraient plus d’alliés, ni en France, ni à
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