La Gloire Et Les Périls
sentant derrière mon silence des mésaises et des doutes, elle
entreprit d’expliquer elle-même les énigmes de sa conduite.
— Mon ami, dit-elle, je sens bien qu’il y a de
certaines circonstances que vous aimeriez que je vous éclaircisse. Oyez-moi, je
vous prie, avec quelque patience, et vous verrez que vous aurez lieu de me
plaindre plutôt que de me blâmer. Je fus mariée fort jeune à Monsieur de
Brézolles, et après dix ans de mariage, je me retrouvai, comme bien vous savez,
sans enfant, Monsieur de Brézolles ne laissant pas de me rendre responsable de
cette infécondité. Je le crus de prime, mais dès lors que je m’aperçus
qu’aucune des innombrables chambrières, avec qui il coqueliquait comme rat en
paille, ne tombait jamais grosse de son fait, j’en conclus, avec un chagrin
extrême, qu’il était lui-même stérile, et que je ne serais jamais mère. Vous
savez le reste. Monsieur de Brézolles fut blessé à la jambe au combat de l’île
de Ré, blessure dont il eût guéri, je pense, s’il n’avait voulu prouver
incontinent, par braverie, qu’il était homme. Tant est qu’à peine de retour
céans, se jetant sur moi, il me prit avec les hurlements sauvages qu’il
poussait dans ces moments-là, et que tout le domestique pouvait ouïr du haut en
bas de la demeure. Vous savez le reste : sa blessure se rouvrit. On n’en
put arrêter le sang, et il mourut, assisté d’un médecin qui lui reprocha ses
excès et d’un curé qui, au nom du Seigneur, les lui pardonna.
« On l’enterra, et deux jours plus tard, je dis
bien : deux jours plus tard, vous apparûtes devant les grilles de
Brézolles, comme le missus dominicus, que le Seigneur, exauçant mes
prières, m’avait envoyé pour me rendre mère. Je sais bien que cela doit vous
paraître extravagant, mais ce qui me confirma ce miracle, c’est que, me donnant
à vous avec une promptitude qui vous étonna, je devins grosse aussitôt. Quant
au scandale qui s’attache aux relations hors mariage, je pensai que j’y
pourrais échapper en faisant croire au médecin et au curé que l’enfant était de
Monsieur de Brézolles, si peu de jours s’étant écoulés entre le moment de sa
mort et le moment où je m’aperçus que j’étais enceinte. Or ce mensonge qui
m’était inspiré par la pudeur, loin d’être puni, fut au rebours mille fois
récompensé…
« On ne le décrût pas. La raison en est simple. Il
était si vraisemblable : la maison retentissait encore des cris sauvages
et triomphants de mon défunt mari dans le déduit que j’ai dit.
— Cependant, M’amie, dis-je avec un léger reproche,
vous ne m’avez jamais touché mot de toutes ces circonstances.
— Par votre faute, mon ami, dit Madame de Brézolles
avec un regard et un sourire si charmants que j’inclinai tout de gob à la
croire.
— Par ma faute ?
— Assurément, Monsieur. De grâce, ramentez-vous :
quand j’ai dit que j’acceptais en nos étreintes les complaisances et les
enchériments – si nouveaux et si délicieux pour moi – mais non les
précautions, vous vous êtes écrié :
« M’amie, oseriez-vous avoir un enfant hors
mariage ? » Et aussitôt vous m’avez soupçonnée de vouloir marier le
premier venu pour justifier la présence chez moi de cet enfantelet. Et comme je
vous demandais si, le cas échéant, cela vous fâcherait, vous me répondîtes tout
à trac : « Assurément, je n’aimerais pas que mon enfant soit élevé
par un faquin ! »
— En effet, dis-je, j’ai bien dit cela.
— Ah ! mon ami, vous ne sauriez croire comme cela
me toucha d’ouïr de votre bouche : « mon enfant », et comme je
vous ai aimé du bon du cœur d’avoir prononcé ces paroles. N’était-ce pas
émerveillable ? Avant même que l’enfant ne fut fait, vous le teniez pour
vôtre ! Pourtant à cette belle lumière s’attachait aussi pour moi une
ombre menaçante. Je craignis que cette fibre paternelle qui venait de vibrer
chez vous ne gênât les plans que je formais pour ma sauvegarde. Aussi vous
cachai-je ce qu’il en était, dès que je sus que j’étais grosse de vous.
— Pardonnez-moi, M’amie. Mais à cette cachotterie s’en
ajouta une autre. Quand vous départîtes de Brézolles, vous noulutes me dire
quelle était dans votre contrat de mariage « la clause scélérate »
dont vos beaux-parents s’autorisaient pour revendiquer votre hôtel de Nantes.
— Mais, mon ami, je ne pouvais assurément pas
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