La Gloire Et Les Périls
recevra
à dîner sur les onze heures et demie, tenant à grand honneur de faire votre
connaissance. Quant à Monsieur et Madame de La Luthumière, vous ne pourrez les
voir, à tout le moins ce jour-ci, étant invités à dîner à cette même heure, par
le gouverneur de Nantes.
CHAPITRE XI
Le temps me dura fort entre le moment où Nicolas vint
m’annoncer que Madame de Brézolles m’attendait à dîner sur le coup de onze
heure et demie, et l’instant où, m’étant à loisir lavé, rasé, et de ma plus
belle vêture attifuré, je pus enfin, suivi de Nicolas, toquer à l’huis de ma
bien-aimée.
On eût dit que le laquais nous attendait derrière la porte
tant elle s’ouvrit promptement, et Monsieur de Vignevieille n’en était pas si
loin non plus, car dès qu’il m’aperçut il vint à moi, s’inclina comme s’il ne
m’avait jamais vu, et me demanda gravement mes noms et qualités avant de me
dire que Madame la Marquise, se trouvant ce matin quelque peu dolente, me
recevrait à dîner dans un petit cabinet au premier étage. Quant à mon écuyer,
ajouta-t-il, voudrait-il lui faire l’honneur de partager au rez-de-chaussée son
repas : invitation que Nicolas accueillit avec la plus parfaite courtoisie
et la plus aigre désolation, car aimant comme son maître la compagnie du gentil
sesso, il eût même consenti à dîner au bec à bec avec une soubrette, alors
même qu’il était, voulait être, et serait sans doute, sa vie durant, un modèle
de fidélité conjugale.
La table était, en effet, dressée dans le petit cabinet où
Monsieur de Vignevieille m’introduisit – beau nom, Vignevieille, qui convenait
tout à plein à celui qui le portait, car le pauvret était si desséché qu’il
avait l’air d’être fait de sarments de vigne sans feuilles ni fruits. Madame de
Brézolles, bien qu’elle ne fut pas encore là, cependant y était déjà par la
façon même dont la table avait été mise, à coup sûr sur ses instructions, avec
le soin, la joliesse, la minutie, cet art enfin qui n’appartenaient qu’à elle.
Monsieur de Vignevieille me pria suavement de prendre place,
mais je noulus, aimant mieux, avant l’advenue de ma belle, jeter un œil à la
ronde sur les meubles et les bibelots de ce petit cabinet, lesquels ne furent
pas sans m’émouvoir, parce que je voyais bien que c’était Madame de Brézolles
qui les avait tous et un chacun choisis.
Elle apparut enfin, et dès lors, je ne vis plus qu’elle,
tant de chaleur, de beauté et de tendresse étant entrées en même temps qu’elle
dans la petite pièce. Nous échangeâmes des saluts et des révérences mécaniques
en même temps que des paroles convenues, nos yeux étant, seuls, capables d’exprimer
comme il fallait l’émeuvement qui nous submergeait après cette longue absence.
Je trouvai Madame de Brézolles non point grossie, mais
épanouie, le tétin cependant plus pommelant, la taille plus ondulante, et,
répandu sur son beau visage, un air de tranquille contentement que je ne lui
avais jamais vu. Mais c’était bien le même œil mordoré, vif, rieur ou attendri,
le même nez délicatement ciselé, et cette bouche sur laquelle je pourrais
écrire des volumes sans rendre le bonheur que sa vue, à elle seule,
m’inspirait. Pardonne-moi, lecteur, cet encensement insensé de ma belle, et
plaise à toi de recevoir de moi l’assurance que je ne piperai mot ni miette,
quand tu porteras devant moi ta maîtresse aux nues.
Cet air de liesse qui se lisait sur le beau visage de Madame
de Brézolles m’eût rendu quelque peu suspicionneux, si ses regards, à
l’entrant, ne m’avaient dit plus clairement encore toute la part qui m’en
revenait.
Du diantre si je me ramentois ce que je mangeai en cette
repue-là, et bien que je sois bien assuré que la chère fût des meilleures, je
n’ignore pas non plus que la seule présence de Madame de Brézolles m’eût fait
trouver délectable le brouet le plus Spartiate. En silence, je la dévorais des
yeux, et elle me rendait regard pour regard, sans que ce continuel échange nous
lassât le moindre, tant nous avions appétit à nous envisager.
Cependant, il y avait, comme j’ai dit déjà, des points qui
demeuraient obscurs dans mes relations avec Madame de Brézolles, lesquels
j’étais bien décidé à élucider avant de me laisser aller aux puissantes forces
qui me poussaient vers elle. Toutefois, je n’eus même pas à lui poser questions
à ce sujet, car,
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