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La Gloire Et Les Périls

La Gloire Et Les Périls

Titel: La Gloire Et Les Périls Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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saurait plus que faire de sa vie. Mon père lui prodigua
alors ses soins et ses consolations, et lui faisant un grand éloge du roi de
Navarre – qu’Henri III expirant avait reconnu comme son successeur –
il lui conseilla de s’attacher à lui, alors même que tant de Grands, et
d’Épernon à leur tête, infidèles au serment solennel qu’ils venaient à peine de
prêter au souverain mourant, abandonnaient sans vergogne le roi de Navarre,
emmenant avec eux leurs troupes et ne lui laissant plus qu’un squelette
d’armée.
    Le Grand Prieur suivit le conseil de mon père, fit acte
d’allégeance à Henri IV, fut par lui bien traité, et à ses côtés
combattit. Le reste de l’histoire fut infiniment moins heureux, puisque douze
mortelles années en Bastille s’écoulèrent avant que le comte d’Auvergne –
comme l’avait nommé Henri IV – pût se retrouver en selle et derechef
galoper, l’épée aux côtés, le visage fouetté par le vent.
    Quand nous fûmes introduits dans la demeure du duc
d’Angoulême, nous ne le pûmes voir de prime que d’assez loin, debout, entouré
de ses officiers, et conversant avec eux, mais pas du tout sur le ton d’un
homme qui donne des ordres, tout au plus des conseils amicaux prononcés sur un
ton aimable.
    Le duc était de taille moyenne, mais très bien pris et sa
face, la Dieu merci, ne ressemblait en rien à celle de son père
Charles IX, dont l’expression, d’après le marquis de Siorac, était dure et
butée, mais par bonheur, à celle de sa mère, la douce et touchante Marie
Touchet qu’il suffisait de voir pour chérir, tant elle semblait avoir aspiré,
avec la première goutte du lait maternel, un sentiment de tendresse pour tout
le genre humain.
    Cependant, chez Angoulême, cette expression de bonté n’ôtait
rien à la fermeté de ses traits. Bien le rebours, elle y ajoutait. Car en même
temps qu’il était avec tout un chacun si aimable, il y avait en ses yeux un
certain air de hauteur qui montrait assez qu’il savait son rang et qu’il
n’était pas homme à se laisser morguer.
    Par-dessus tout, ce qui me frappa en lui, et je ne fus
certes pas le seul, ce fut cet air de jeunesse qui rayonnait de ce prince qui
avait déjà passé cinquante ans. « C’est à croire, dit La Surie sur le
chemin de retour, que ses années de Bastille l’ont conservé !… Ma
fé ! À part un peu de blanc à ses tempes et quelques rides autour des
yeux, qui pourrait deviner son âge ? À telle enseigne qu’à le voir, on se
demande à qui on a affaire : à un jeune barbon ou à un vieux jeune
homme ? »
    Angoulême avait bien connu le marquis de Siorac à
Saint-Cloud, tout au long des campagnes d’Henri IV et aussi en Paris avant
son embastillement. Mais quand il émergea enfin de sa geôle, mon père s’était
depuis longtemps éloigné de la Cour et vivait très retiré, soit en son hôtel de
la rue du Champ Fleuri, soit en son domaine du Chêne Rogneux, en Montfort
l’Amaury. Tant est qu’à le voir, après tant d’années, Angoulême poussa un cri
de joie, et sans un mot, le prit dans ses bras, lui mouillant la joue de ses
larmes. Cette scène figea d’étonnement la dizaine de gentilshommes qui se
trouvaient là, et d’autant que nul d’entre eux, vu leur âge et l’âge de mon
père, n’avait pu le connaître.
    — Ah Siorac ! dit enfin Angoulême, que de
souvenirs heureux et malheureux vous me ramentevez ! Et quelle gratitude
je vous ai gardée pour tout ce que vous avez fait pour moi à Saint-Cloud.
    Évoquer Saint-Cloud, c’était, par malheur, évoquer
l’assassinat d’Henri III par Clément le mal nommé, ce qui, à son tour,
plongea mon père dans un émeuvement tel et si grand qu’il eut les larmes au
bord des yeux. Car s’il avait estimé, admiré et servi Henri IV, les
sentiments qu’il avait éprouvés à l’endroit de son prédécesseur avaient été
infiniment plus vifs, comme je m’en étais aperçu en lisant dans ses Mémoires le
portrait affectueux et admiratif de ce bon roi que la légende a si
injurieusement desservi.
    Cependant, Angoulême dut éprouver quelque vergogne de s’être
laissé aller aux pleurs devant ses officiers, car en quelques mots brefs, mais
toujours prononcés sur un ton aimable, il les incita à se retirer, et se
tournant vers moi qui le saluais profondément, il dit :
    — Et voilà, à n’en pas douter, le comte d’Orbieu !
Portrait frappant de son père, mais qu’on

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