La Gloire Et Les Périls
désinvolte que celle d’un jeune homme.
Comme on s’en retournait à Aytré pour trouver le roi,
suivant ce long chemin boueux, encombreux et bruyant qui traversait l’incroyable
grouillement du camp, La Surie poussa son cheval au botte à botte du mien et me
dit à l’oreille :
— Monsieur le Comte, à peu que je ne souhaite être un
jour serré moi-même en Bastille…
— Chevalier, dis-je en riant, on n’enferme en Bastille
que ce qu’il y a de plus précieux : l’or du royaume et les grands
personnages. Moi-même je ne saurais y être admis. Et Miroul, pour ta part, ne
le regrette pas trop ! Le Vert Galant tolérait les visiteuses, mais il ne
faudrait pas se flatter de l’espoir que Louis XIII et Richelieu fassent
jamais de même : les plus grands hommes sont sans faiblesse pour les
faiblesses qui ne les tentent pas.
*
* *
Louis ne fit aucune difficulté pour assurer à Angoulême, par
courrier royal, qu’il garderait son titre de lieutenant général des armées,
ainsi que les émoluments qui y étaient attachés. Du côté de Coureille, au sud
de la baie, tout allait donc pour le mieux. Mais tout restait à faire au nord,
à Chef de Baie, où Bassompierre commandait, et Bassompierre était fait d’un
tout autre métal que le duc. Il était déjà dix heures de la matinée quand nous
quittâmes le roi, et Madame de Brézolles nous ayant invités, par le truchement
de Monsieur de Vignevieille, à partager avec elle la repue de midi, appelée
improprement ainsi puisque la coutume veut qu’on la prenne entre onze heures et
onze heures et demie, nous remîmes à l’après-dînée notre escalabreuse visite à
Bassompierre et nous reprîmes le chemin de Saint-Jean-des-Sables.
Madame de Brézolles, qui avait fait toilette, comme chaque jour,
avec la dernière minutie, apparut à notre table, superbement parée et, me
semble-t-il, infiniment confortée par le flot d’admiration qui, de nous,
montait vers elle et qui était tel, si grand et si puissant qu’il eût fait le
bonheur d’au moins une douzaine de nos belles de Cour. Ce flot grandit encore
quand elle parla, et comme toujours, avec beaucoup de charme, d’esprit et cette
exquise gentillesse qui lui ouvrait tous les cœurs. Je crains bien que le mien,
lui, était non seulement grand ouvert, mais gagné et acquis plus que ne
l’aurait voulu ma prudence.
Observant que le marquis de Siorac avait l’air quelque peu
lassé de notre chevauchée matinale, je suggérai que, devant nous remettre en
selle dans l’après-dînée, il serait opportun que nous fassions une sieste d’une
heure avant de reprendre la route. Cette proposition fut promptement adoptée
par mon père, lequel, comme je l’avais senti, éprouvait le besoin de se
rebiscouler et, par voie de conséquence, par Nicolas et La Surie, lequel,
cependant, ne put se retenir de me faire un petit souris connivent. Mais cet innuendo [21] muet perdit aussitôt toute
pertinence, Madame de Brézolles disant que, ses hôtes reposant, elle allait,
quant à elle, faire atteler sa carrosse et rendre visite à une amie.
Chacun se retira alors dans sa chacunière, et les courtines
de mon baldaquin me protégeant de la lumière, je m’égayai tendrement au
souvenir de Jeannette qui, lorsqu’elle partageait à midi ma couche, me
demandait toujours si ma sieste allait être « bougeante ou
paressante ».
Elle fut paressante, mais plus rêveuse encore, car ma
mission auprès de Bassompierre me tracassait fort, tant je craignais qu’elle
échouât.
J’avais douze ans quand j’ouïs pour la première fois parler
de Bassompierre, non par mon père, mais par une soubrette qui avait servi chez
lui avant d’entrer à mon service. Le lecteur ne peut qu’il ne se ramentoive
qu’elle s’appelait Toinon et qu’en mon adolescence, je vécus avec elle en un
vert paradis, dont le pensement me point le cœur, quand son joli et franc
visage apparaît dans mes songes.
Or, comme je demandai un jour à Toinon si elle ne regrettait
pas l’hôtel de Bassompierre, elle m’assura vivement que non, car dans ledit
hôtel où tout était jeux et ris, on dormait si peu qu’elle se sentait souvent
excessivement lasse, étant quant à elle aussi dormeuse que marmotte.
— Cependant, ajouta-t-elle, Monsieur de Bassompierre et
ses amis (au nombre desquels elle cita – ô rencontre ! – le
comte d’Auvergne [22] !) sont fort
aimables, et en outre, si beaux et si bien faits, qu’il
Weitere Kostenlose Bücher