La grande guerre chimique : 1914-1918
régiments de la 12 e division
d’infanterie allemande fut donc réduit. C’est le moment que choisirent les
hommes de la Special Brigade pour déclencher électriquement la mise à feu de 1 180 projecteurs Livens. Les fantassins allemands ne purent détecter le départ des bombes
couvert par les détonations des obus conventionnels. Quelques secondes plus
tard, 18 t de phosgène s’abattaient sur les positions allemandes et
causaient près de 200 victimes [539] . La
généralisation des attaques effectuées à l’aide de projecteurs Livens au
cours de la dernière année du conflit constitua une nouvelle révolution des
méthodes de guerre chimique. Le projecteur bouleversait les conditions de la
guerre de tranchées comme aucune autre arme ne l’avait fait auparavant [540] .
La possibilité de voir s’abattre à tout moment sur ses positions, sans
véritables signes permettant de l’anticiper, une énorme quantité de gaz,
amplifiait encore l’horreur des conditions du combat et l’angoisse que devaient
supporter les hommes. Dans ces circonstances, la qualité des protections
respiratoires dont disposaient les fantassins, mais surtout leur capacité à les
revêtir promptement, jouaient un rôle déterminant. Avec le projecteur, l’arme
chimique devenait l’arme de l’attrition, de l’usure. Certes, on savait qu’elle
ne permettrait pas de remporter des succès importants, mais une multitude d’attaques
aux objectifs ponctuels sur des fronts limités pouvaient causer de lourdes
pertes à l’ennemi et plus encore, réduire sa capacité à combattre, en dégradant
les conditions dans lesquelles il devait lutter [541] .
La course à la toxicité
Parallèlement aux améliorations apportées aux mécanismes de
dissémination des toxiques, qui permettaient d’exploiter l’efficacité optimum d’une
substance donnée, les chimistes et chercheurs restaient conscients que l’élément
qui conditionnait le succès d’un gaz délétère demeurait sa capacité à
surprendre et déjouer les défenses chimiques élaborées par l’ennemi. Pour
reprendre une expression judicieuse de Victor Lefebure, la guerre chimique fut « une
course à l’initiative » [542] .
Ce constat allait donc mener non seulement à une escalade à la toxicité des
agents de la guerre chimique, mais aussi à une amélioration des capacités de
contamination de ces mêmes substances, c’est-à-dire de leur aptitude à se jouer
des protections respiratoires les plus récentes.
Au début de l’année 1917, les capacités de recherche
chimique militaire étaient énormes. À la fin de la guerre, les chercheurs
britanniques avaient ainsi évalué les qualités militaires de plus de 10 000 substances
chimiques, qui furent répertoriées en fonction de leurs avantages respectifs.
Les travaux suivaient deux directions. La première consistait à élaborer des
agents de plus en plus toxiques, et la seconde à accroître, et nous en verrons
plus tard les raisons, la persistance de ces agents. Malgré tout, la décision
de produire une substance toxique restait surtout conditionnée par la capacité
de l’industrie chimique du pays. À cet égard, l’Allemagne possédait dans ce
domaine un avantage considérable. C’est sans doute pour cette raison que les
chimistes allemands furent presque systématiquement en avance sur leurs homologues
français et britanniques ; non pas que leurs compétences étaient
supérieures, mais ils étaient affranchis de nombreuses contraintes
industrielles.
Pour étudier l’évolution des agents chimiques utilisés sur
le champ de bataille durant les deux dernières années de la guerre, nous
adopterons la classification proposée par le Stockholm International Peace
Research Institute (SIPRI). Tout d’abord, nous traiterons des agents
incapacitants, pour ensuite examiner le cas des agents létaux. Le SIPRI donne
la définition suivante qui reste fort éclairante :
« Les substances chimiques qui furent utilisées
pendant la Première Guerre mondiale peuvent être réparties en deux groupes, les
agents incapacitants et les agents létaux. Un agent incapacitant est une
substance dont la concentration opérationnelle, c’est-à-dire celle qu’il était
possible d’obtenir sur le front, provoque une incapacité au combat temporaire
et réversible pendant une période qui, en général, n’excède pas la durée d’exposition
à l’agent. Un agent létal peut être défini comme une
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