La grande guerre chimique : 1914-1918
substance chimique dont la
concentration opérationnelle provoque de graves blessures ou la mort de toute
personne exposée. » [543]
Les agents incapacitants
Nous l’avons vu, les premières munitions chimiques de la
Grande Guerre furent les obus sternutatoires de 105 mm (Niesgeschoss) qui furent utilisés sur le front occidental près de Neuve-Chapelle le 27 octobre 1914.
De telles substances incapacitantes furent utilisées tout au long du conflit.
La recherche dans ce domaine porta davantage sur une amélioration des qualités
chimiques de ces agents que sur l’accroissement de leurs propriétés irritantes.
En effet, il s’agissait surtout d’augmenter la durée d’action de ces
substances. Cet objectif fut atteint en leur ajoutant divers solvants et
dérivés alcooliques. Aussi, à la fin de la guerre les artilleurs des armées
antagonistes disposaient d’une palette considérable d’irritants et de
lacrymogènes à la persistance plus ou moins importante.
L’agent lacrymogène le plus répandu fut incontestablement le
bromacétone, dont près de 1 000 t furent utilisées par les parties au
conflit [544] .
L’autre lacrymogène produit en quantités comparables, près de 500 t, fut
le bromure de xylyle contenu dans les munitions T-stoff allemandes. Dans
les derniers mois de la guerre, les Français adoptèrent un lacrymogène dont la
persistance et les propriétés irritantes furent inégalées. Il s’agissait du
cyanure de bromobenzyle, dont l’utilisation dans l’artillerie française fut
limitée aux dernières semaines des combats.
L’année 1917 vit l’apparition soudaine d’un nouveau genre d’agents
incapacitants, les sternutatoires. Ces substances solides à base d’arsenic, qui
provoquaient une forte irritation des voies respiratoires supérieures,
équipèrent les munitions de l’artillerie allemande à partir de la fin du mois
de juin 1917 (obus croix bleue). Il s’agissait du chlorure de
diphénylarsine (Clarck I) et du cyanure de diphénylarsine (Clarck II).
Les chimistes du Kaiser Wilhelm Institut prétendaient que ces substances pourraient
pénétrer les protections respiratoires les plus récentes. La production de ce
nouvel agent atteignit 600 t au cours du mois de mai 1917, et
nécessita la réquisition de l’ensemble des ressources du Reich en arsenic. L’état-major
allemand, particulièrement séduit par les propriétés de ces substances louées
par les chimistes, envisageait de mener des attaques chimiques combinées :
obus croix verte et croix bleue. Les projectiles
contenant les dérivés arséniés obligeraient les soldats ennemis à quitter leurs
masques respiratoires tandis que le diphosgène les étendraient raides morts. Si
la solution paraissait séduisante aux yeux de l’état-major, sa réalisation
technique présentait de sérieuses difficultés.
Les premiers pilonnages à l’aide de ces obus se déroulèrent
le 10 juillet 1917 près de Nieuport [545] , puis les 20 et
21 juillet et les jours suivants dans la région d’Ypres. Ces munitions se
révélèrent si peu efficaces que leur utilisation passa complètement inaperçue.
Le 28, des fantassins britanniques découvrirent près de Wijtschate des
projectiles non explosés marqués d’une croix bleue. Au beau milieu du choc
provoqué par l’introduction du gaz moutarde, la substance, jugée dans un
premier temps sans grand intérêt par les chimistes français et britanniques, ne
fut identifiée qu’au cours du mois d’août [546] .
De fait, les Allemands rencontraient des difficultés dans
les mécanismes de dispersion de ces substances car elles se présentaient sous
forme solide. Jusqu’à cette date, la plupart des substances chimiques contenues
dans les obus se présentaient sous forme liquide. Au moment de la détonation de
l’obus, les particules irritantes contenues dans un récipient en verre de la
munition étaient vaporisées dans un volume beaucoup trop important, de telle
sorte qu’il était impossible d’obtenir des concentrations efficaces [547] .
Ces déficiences auraient dû être détectées au cours des essais préliminaires
sur le polygone de tirs de Breloh mais l’Artillerie Prüfungs Kommission, si
satisfaite de pouvoir disposer d’une arme si prometteuse, l’adopta sans que l’on
procède à des expérimentations complètes.
En janvier 1917, un spécialiste des rayons X et
des particules microscopiques, Erich Regener, de l’Université de
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