La grande guerre chimique : 1914-1918
à la Santé [721] .
L’énergie remarquable déployée par le D r Paul ne tarda pas à
porter ses fruits. Dès le mois d’août, chaque corps disposait de deux ou trois
antennes de désinfection comprenant des postes de lavages et des douches ainsi
que des personnels médicaux spécialisés (Ambulances Z) pour veiller sur les 200
à 300 lits rassemblés sur ces sites. Ces antennes étaient particulièrement
bien équipées et disposaient également des moyens nécessaires pour évacuer les
gazés les plus sérieusement atteints vers les centres de convalescence
dispersés sur le territoire national [722] . Au mois d’août,
le D r Paul inaugura également à l’hôpital Necker, un centre médical
spécialisé dans le traitement des victimes du gaz moutarde.
Les pathologies des gaz étaient particulièrement
pernicieuses dans la mesure où, une fois l’attaque repoussée, un grand nombre d’hommes
se présentaient invariablement aux postes de secours en affirmant, de manière
sincère pour la plupart, avoir été gazés. Le phosgène et ses effets retardés
étaient redoutés des soldats [723] . Les fantassins
angoissés qui avaient senti des effluves suspects sous leurs masques ou qui
pensaient avoir tardé à revêtir leurs protections respiratoires demandaient à
être examinés par les médecins. Les premières lignes se trouvaient parfois
dégarnies au-delà du raisonnable. Les gaz offraient également aux soldats
récalcitrants des possibilités, certes dangereuses mais réelles, de s’infliger
eux-mêmes une blessure qui les éloignerait provisoirement du front. Des cas de
fantassins se frottant les avant-bras sur de la terre imprégnée de gaz moutarde
furent assez couramment rapportés à partir de l’automne 1917.
En définitive, les moyens de défense élaborés contre la
guerre chimique se révélèrent remarquablement efficaces. Malgré de nombreuses
déficiences techniques [724] ,
les protections conçues pour les soldats permirent d’abaisser largement la
mortalité des premières attaques par gaz jusqu’à des taux très faibles. Ainsi,
en ce qui concerne le corps expéditionnaire britannique, si le taux de
mortalité des gazés s’élevait à 17 % en 1915, il régressa jusqu’à 2,4 %
pour l’année 1918 et cela malgré l’apparition de l’ypérite. Selon le D r Molinié,
ce taux fut même inférieur à 2 % lors des quatre derniers mois du conflit,
ce qui est remarquable si l’on garde à l’esprit que cette période de la guerre
chimique fut la plus intense. On constate même que le gaz fit relativement « peu »
de victimes pendant la Grande Guerre au regard du nombre total des morts. « Les
statistiques portant sur l’ensemble de la guerre montrent que la proportion des
hommes morts des suites des gaz a varié selon les armées de 1,9 à 3 % des
soldats ainsi atteints. Or, la proportion des morts parmi les hommes atteints d’autres
blessures de tous genres entrés aux hôpitaux a varié entre 30 et 39 %. » [725] Ces chiffres montrent que dans un milieu préparé à la lutte contre les gaz,
ceux-ci causaient proportionnellement douze fois moins de décès parmi les
hommes atteints que les autres blessures.
CHAPITRE X
Des gaz et des hommes :
populations militaire et civile face à la guerre chimique
« Tous morts, plus ou
moins nus, retombés sur un pillage de vêtements lacérés, cramponnés les uns aux
autres en grappes convulsives. Bêtise des rêves de la sape, morts immobiles
leurs cartes en l’air ! Des pieds sortaient du grouillement pétrifié des
morts, orteils crispés, comme des poings… Et ce qui bouleversait mon père plus
que ces yeux couleur de plomb, que ces mains tordues sur l’air vide, c’était qu’il
n’y eût pas de plaies. Pas de sang. »
André Malraux, Les noyers de l’Altenburg [726] .
Dans l’introduction de cette étude, nous évoquions la
problématique essentiellement militaire de notre analyse. Cependant, il n’était
pas possible de ne pas évoquer, même de manière succincte, l’expérience
matérielle et psychologique des hommes, civils ou militaires, qui furent
directement ou indirectement confrontés aux hostilités chimiques. Ce sujet
pourrait, à lui seul, justifier qu’on lui consacre une thèse tant ces questions
demeurent inexplorées des historiens. Si ce présent chapitre ne prétend
aucunement à une quelconque exhaustivité, il tente néanmoins d’exposer, au
terme de cette étude, quelques
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