Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La grande guerre chimique : 1914-1918

La grande guerre chimique : 1914-1918

Titel: La grande guerre chimique : 1914-1918 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Lepick
Vom Netzwerk:
angoissant sous la forme d’un énorme nuage verdâtre qui
brûlait les poumons aussi sûrement que l’acide ne pouvaient que susciter l’effroi
le plus absolu. Contrairement à un pilonnage conventionnel, la vague de gaz
frappait tout le monde sur son passage sans laisser aux fantassins une chance d’y
échapper. Les hommes ne pouvaient pas, comme lors d’un bombardement
conventionnel, s’en remettre à la providence qui ferait s’abattre les obus un
peu à gauche ou un peu plus à droite de la position sur laquelle ils se
tenaient. L’avancée du nuage mortel était implacable, inexorable, et bientôt
les hommes se retrouvaient au milieu d’un brouillard si dense qu’il leur
semblait être seuls dans la tranchée. Aucune autre technique offensive, pas
même le Trommelfeuer, pourtant si dévastateur, ne permettait de frapper l’ennemi
de manière si systématique. À l’échelle d’un front de quelques centaines de
mètres, la nuée dérivante constituait une « arme totale ». À cet
égard, elle fut, à une échelle plus restreinte, la première arme de destruction
massive utilisée sur un champ de bataille près de trente ans avant l’arme
nucléaire et consacrait également la « déhéroïsation » du phénomène
guerrier. Certes, l’apparition de masques respiratoires performants au cours de
l’année 1916 réduisit le potentiel offensif des nuées dérivantes mais, avant
cette date, elles constituaient une épreuve particulièrement pénible pour le
fantassin.
    À l’évidence, l’arme chimique occupait donc une place
singulière parmi les dangers qui menaçaient les fantassins en premières lignes.
Sans doute faut-il trouver dans des considérations psychiatriques, ou du moins
psychiques, les raisons de cette particularité. En premier lieu, les gaz
étaient entourés d’un halo de mystère qui suscitait l’effroi. Certes, les gaz n’avaient
pas la violence immédiate du feu, qui déchirait les chairs et lacérait les
corps, mais si les hommes comprenaient grossièrement le mode d’action des obus
ou des shrapnells, celui des gaz demeurait plus opaque et donc plus effrayant.
J’ai pu ainsi constater au cours des entretiens que j’ai pu mener avec des
vétérans de la Grande Guerre, mais également à la lecture des quelques
témoignages qui sont parvenus jusqu’à nous, que les fantassins ne distinguaient
que très sommairement les différents toxiques utilisés et leurs propriétés
respectives. La multitude d’agents chimiques était désignée par un terme
générique : les gaz. Non sans raison d’ailleurs, ces gaz étaient ainsi
assimilés par les soldats au poison et donc à la souffrance la plus aiguë. Ils
évoquaient la perspective de mourir à petit feu dans d’horribles tourments. Si
le feu pouvait laisser espérer une mort redoutée mais instantanée, sans
souffrances interminables, dans l’esprit des combattants, le gazé était promis
à une longue agonie, un véritable supplice. D’autres caractéristiques
sournoises des armes chimiques venaient encore accentuer cette angoisse. Pour
un certain nombre de toxiques (phosgène, sulfure d’éthyle dichloré), les
symptômes de l’intoxication n’apparaissaient pas immédiatement et pouvaient ne
se manifester que quelques heures plus tard, peu avant la mort. Une macabre
anecdote, rapportée par Jeremy Paxman et Robert Harris, illustre bien les
terribles effets retardés du phosgène : « Un officier mourut
subitement dans une ambulance, un autre succomba alors qu’il se rendait vers l’antenne
médicale pour évoquer ses symptômes. Un troisième se présenta devant moi à 8 h 30
en expliquant qu’il ne se sentait pas bien. Il n’avait pourtant pas l’air mal
en point et je lui proposai une tasse de thé qu’il but posément tout en
discutant. Tout à coup, il s’évanouit dans la chaise qu’il occupait. Je lui
donnai immédiatement de l’oxygène mais il décéda une heure plus tard. » [729] De même, l’un
des souvenirs les plus marquants d’un des vétérans de la Grande Guerre que j’ai
pu interroger au sujet des gaz avait justement trait au phosgène et à ses
effets retardés, qui, dès qu’ils furent connus, terrorisaient les hommes. M. Maurer [730] ,
soldat au 106 e  régiment de chasseurs alpins, se souvenait ainsi
qu’au cours de l’année 1916, date à laquelle les propriétés des gaz restaient
encore largement ignorées des fantassins, des camarades apparemment en

Weitere Kostenlose Bücher