La grande guerre chimique : 1914-1918
leur demandaient les autorités
militaires allemandes [735] . En avril 1916,
près de Wulverghem sur la frontière belge, une attaque allemande par nuées
dérivantes causa près de 20 victimes parmi les paysans qui travaillaient
leurs terres à moins de 4 km en arrière des lignes britanniques. Évoquant
la situation des habitants de Lille, le major-général Foulkes écrivait :
« La végétation et les salades dans les potagers de Lille étaient
régulièrement blanchies par les nuages de chlore et les habitants étaient
avertis de la progression des nuées toxiques par des cloches. Ils devaient
alors se réfugier dans les parties supérieures des habitations dans une pièce
calfeutrée. » [736]
Dans certaines agglomérations proches du front et de
secteurs propices aux attaques chimiques par vagues comme Pont-à-Mousson,
Armentières ou même Reims, les populations civiles étaient donc soumises à une
discipline et des consignes draconiennes de lutte contre le gaz. Contrairement
à ce qu’affirment certains auteurs anglo-saxons [737] , la presque
totalité des habitants vivant à proximité d’un front susceptible de subir une
attaque chimique était dotée d’un masque respiratoire et devait, en cas d’alerte,
respecter les directives affichées un peu partout dans les rues. Bien souvent,
la population était également tenue d’assister régulièrement à des cours et des
exercices destinés à la sensibiliser au danger des attaques chimiques ainsi que
d’aménager dans chaque immeuble une pièce calfeutrée où les habitants
pourraient se réfugier en cas de danger. Malgré ces précautions globalement
efficaces, il ne fut pas possible en juillet 1917 d’éviter la catastrophe
qui se produisit dans les faubourgs ouest d’Armentières. Ce drame fut causé par
l’apparition d’un nouveau gaz allemand, le sulfure d’éthyle dichloré aux
propriétés insidieuses. Dans la nuit du 20 au 21 juillet ainsi que le 29
du même mois, l’artillerie allemande noya la ville sous un déluge de munitions
au gaz moutarde. Dans un premier temps la population se réfugia dans les abris
disséminés un peu partout dans la ville, mais, ignorant les propriétés
persistantes du nouveau gaz allemand, s’en retourna, une fois le pilonnage
achevé, à la vie quotidienne. Cette précipitation causa la mort de 86 personnes
et fit plus de 680 victimes [738] . Cette tragédie
incita les autorités françaises à déléguer le D r Mazel auprès
du bef avec pour mission de superviser les mesures de défense civile contre les
gaz dans le secteur britannique. Les consignes furent une nouvelle fois
renforcées et un système d’alerte précoce fut constitué sous la responsabilité
du bef. Les maires, ainsi que la Préfectorale, furent mis à contribution et des
équipes de décontamination furent constituées. Certains secteurs, jugés
dangereux, furent même évacués. Ces mesures semblent avoir été relativement
efficaces. En effet, en avril 1918 (particulièrement les 7 et 15), près de
4 000 civils furent soumis à un bombardement massif à l’ypérite dans
les localités de Givenchy, Liévin et Annequin. Ainsi près de 15 000 obus,
pour la plupart emplis d’ypérite, s’abattirent sur les corons d’Annequin et de
Mazingarbe [739] .
Cependant, on ne releva que 230 blessés et 19 morts [740] .
Dans les derniers mois du conflit, des incidents similaires se produisirent à
Avelghem, Haussy et Leers, causant de nouvelles victimes [741] . Tous les
incidents de ce genre furent tenus strictement secrets pendant toute la durée
du conflit pour ne pas affecter le moral des populations et la presse ne relata
ces faits que bien après la fin des hostilités. De plus, il est probable qu’un
certain nombre de victimes civiles des gaz à proximité du front ne furent pas
comptabilisées, les faits ayant été jugés mineurs ou sans importance, si bien
que le chiffre de 5 000 ne représente que les victimes avérées et que le
total réel est probablement légèrement supérieur à ce chiffre.
Faute d’avoir permis une victoire définitive, l’arme
chimique devint progressivement, à partir de 1917, un moyen d’épuiser l’ennemi
en dégradant les conditions du combat et en accentuant dans l’armée adverse la
crise des effectifs. Ce dessein fut cependant largement contrarié par le fait
que la production industrielle des moyens de guerre chimique était extrêmement
gourmande en main-d’œuvre. Le
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