La grande guerre chimique : 1914-1918
paraissaient
démesurées. Sans aucun doute, la relative ignorance dans laquelle était
confinée l’opinion publique contribua largement à cette situation. L’horreur
inspirée par les gaz dans l’opinion publique, conjuguée au relatif secret dans
lequel fut confiné cet aspect de la Grande Guerre dans les années qui suivirent
l’armistice, fut à l’origine de la création et de l’épanouissement d’un mythe, « d’une
légende noire » de l’arme chimique. La quasi-absence de publications ou d’études
sérieuses sur ce sujet dans l’immédiat après-guerre conduisit à une
surestimation générale, tant dans les milieux civils que militaires, de l’efficacité
et du potentiel militaire de l’arme chimique. Les récits littéraires ainsi que
les représentations artistiques de la guerre chimique contribuèrent également à
alimenter ce mythe [754] .
Au cours des années 30, la popularisation des théories du
général italien Giulio Douhet sur les bombardements stratégiques aériens dont
pourraient à l’avenir être victimes les populations civiles, conjuguée à la
publication de quelques pamphlets catastrophistes, provoqua une véritable
psychose de la guerre chimique au sein des opinions publiques européennes.
Certains auteurs, non sans raison, mais de manière quelque peu excessive à mon
sens, n’hésitent pas aujourd’hui à comparer ce trouble à celui provoqué par la
perspective de l’apocalypse nucléaire au cours de la guerre froide. La
confidentialité dont étaient entourées les questions chimiques, qui perdura
après la fin des hostilités, conjuguée à la multiplication des ouvrages et des
essais catastrophistes [755] , expliquait
largement le développement de cette psychose qui fut à l’origine d’un profond
courant anti-chimique pendant l’entre-deux-guerres au point « qu’il est
remarquable de constater à quel point une arme si peu efficace fut cependant au
centre de tous les débats liés au désarmement en Europe entre les deux guerres » [756] .
L’utilisation de la propagande dans le domaine de la guerre
chimique fut relativement fréquente tout au long du conflit. À plusieurs
reprises, des rumeurs alarmantes parcoururent le front tenu par les Alliés.
Cette forme de désinformation était surtout le fait des Allemands, non pas que
leurs services soient plus retors que ceux des Alliés, mais dans la mesure où
les militaires du Reich savaient disposer d’une suprématie scientifique
et industrielle indéniable dans le domaine de la guerre chimique. Ces échos
évoquaient invariablement une prochaine offensive chimique allemande au moyen d’un
nouvel agent aux propriétés effroyables. Les services de renseignement
militaire français et britanniques recueillaient avec soin les informations
colportées par ces rumeurs et, au terme d’une enquête, évaluaient leur
pertinence. Le résultat de quatre années d’investigation française à propos des
rumeurs diffusées par l’Allemagne existe sous la forme d’un rapport qu’il est
possible de consulter au Service historique de l’armée de terre à Vincennes [757] .
On constate qu’en 1916, 1917 et 1918, ces bouffées de
rumeurs alarmantes se produisaient au cours des premiers mois de l’année, c’est-à-dire
dans la période d’attente des opérations actives. Il faut également remarquer
que la plupart des innovations chimiques allemandes ont fait leur apparition
sur le champ de bataille dans les périodes pauvres en renseignement et que les
informations reçues « ne pouvaient permettre de les identifier » [758] .
Les actions allemandes étaient souvent déclenchées depuis un pays neutre
(Suisse ou Suède). Ainsi, en janvier et février 1916, une vigoureuse
campagne de propagande allemande déclenchée dans la presse helvétique précéda l’offensive
sur Verdun. Des articles décrivaient à loisir les terrifiantes propriétés du
nouveau gaz allemand auquel aucune protection ne résistait. On racontait que
ces gaz seraient projetés par des obus et que dans un rayon de 100 m autour
du point d’éclatement, tout être vivant serait annihilé. « Dans un cas, il
s’agissait d’un ouvrier chimiste allemand rongé par la culpabilité et qui
désirait prévenir les autorités françaises par l’intermédiaire d’un ami suisse,
dans d’autres cas, des scientifiques allemands se confiaient à des confrères
francophiles de pays neutres afin qu’ils mettent en garde les
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