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La grande guerre chimique : 1914-1918

La grande guerre chimique : 1914-1918

Titel: La grande guerre chimique : 1914-1918 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Lepick
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mètres et particulièrement épais à la base, qui touchait au sol. Ce nuage s’avançait
vers nous, poussé par le vent. Presque aussitôt, nous avons littéralement
suffoqué (…). Nous avons dû alors nous replier, poursuivis par le nuage. J’ai
vu, à ce moment, plusieurs hommes tomber, quelques-uns se relever, reprendre la
marche, retomber et, de chute en chute, arriver enfin à la seconde ligne, en
arrière du canal, où nous nous sommes arrêtés. Là, les soldats se sont affalés
et, jusqu’à trois heures du matin, n’ont cessé de tousser et de vomir (…). Je
suis encore actuellement atteint de bronchite, et beaucoup de mes hommes sont
évacués chaque jour pour bronchite et congestion pulmonaire. » [211]
La question du bilan humain
    Le nombre des victimes du gaz lors de l’attaque du 22 avril
reste aujourd’hui encore très délicat à évaluer. Les chiffres, souvent
fantaisistes, varient selon les historiens entre 200 et 5 000 morts
et jusqu’à 10 000 blessés. En 1921, Victor Lefebure évaluait à 5 000
le nombre des victimes [212] . Une quinzaine d’années
plus tard, Rudolf Hanslian [213] accusait, avec
raison, les forces alliées d’avoir, dans un but de propagande auprès des
puissances neutres et plus particulièrement des États-Unis, largement surestimé
leurs pertes. Ces affirmations étaient étayées par des rapports militaires
allemands rédigés au lendemain du 22 avril qui prétendaient que les
fantassins allemands ne trouvèrent que très peu de cadavres dans les tranchées
ennemies. En cette occasion, et pour des raisons inverses aux préoccupations
alliées, les Allemands tentèrent bien évidemment de minimiser l’ampleur des
pertes causées par la vague de chlore. Après la fin du conflit, Fritz Haber,
interrogé sur cet épisode, déclara ainsi qu’il ne vit que très peu d’hommes
tués par le chlore le 22 avril 1915 [214] . Cette
controverse est directement à l’origine des approximations parfois grossières
que l’on rencontre, aujourd’hui encore, à l’évocation des victimes de l’attaque
par le chlore de Langemarck. L’Official British Medical History of the War [215] ,
dont les chiffres sont basés sur les rapports des antennes médicales alliées de
la région d’Ypres, avance un bilan de 3 000 morts pour 7 000 blessés [216] pour les trois attaques chimiques allemandes des 22, 24 avril et 1 er  mai.
Là encore, il faut observer ces chiffres avec la plus grande prudence car force
est d’admettre qu’il n’existe pas d’estimation réellement sûre. Un rapport
médical français, malheureusement lacunaire, daté du 25 avril et rédigé
par le D r  Sieur, ne mentionne que 625 victimes [217] .
Un médecin français aurait également confié au colonel Mordacq qu’il avait
été conduit dans un hôpital de campagne allemand et qu’il y avait dénombré 800 hommes
gravement intoxiqués dont plusieurs décédèrent. Il est enfin très troublant de
constater que les statistiques médicales officielles françaises ne recensent
que 469 intoxiqués par les gaz dans l’ensemble de l’armée française pour
le mois d’avril 1915 [218] . Cela conforte
les soupçons qu’il convient de nourrir à l’égard des chiffres « astronomiques »
évoqués pour établir le bilan de l’attaque du 22 avril.
    Malgré des recherches approfondies, il reste donc très
difficile de conclure de manière catégorique sur le nombre des victimes de l’attaque
chimique allemande du 22 avril 1915. Néanmoins, il faut d’emblée
écarter les données fantaisistes qui suggèrent le chiffre de 5 000 morts
et retenir un ordre de grandeur, plutôt qu’un chiffre. Selon mes estimations,
il est vraisemblable que le nombre des victimes fut compris entre 800 et 1 400 morts
pour 2 à 3 000 intoxiqués plus ou moins gravement. La difficulté à
estimer le nombre des victimes de la guerre chimique n’est pas propre à l’offensive
de Langemarck et, on pourra le constater, ce phénomène perdura tout au long du
conflit.
Une innovation gâchée ?
    Le lendemain, apprenant le succès de l’attaque, le Kaiser, particulièrement euphorique, signifia son contentement à Falkenhayn
par une chaleureuse et peu coutumière accolade et promit même une bouteille de
Champagne au colonel Tappen [219] .
Certes, l’opération allemande était incontestablement un succès tactique mais faute
d’une préparation suffisante, aucune décision stratégique

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