La grande guerre chimique : 1914-1918
quotidiennement au Polygone de Vincennes sur diverses
substances, éventuels agents asphyxiants et lacrymogènes [301] . Au mois d’août,
à la suite d’essais prometteurs [302] , Joffre donna
son accord pour la production de 50 000 obus de 75 mm emplis de
tetrachlorosulfure de carbone. Sa fabrication assurée, il reçut l’appellation « obus
n° 1 ». On décida d’en remplir un grand nombre de munitions (environ
420 000) en prévision des offensives de l’automne 1915 [303] . Son baptême du
feu eut lieu en Champagne en septembre, mais on l’abandonna très vite au vu de
sa faible toxicité [304] .
À la même date, sous la direction du P r Urbain, une équipe de
chimistes français mit au point des obus incendiaires et suffocants, contenant
une solution de sulfure de carbone et de phosphore. Ces obus ne furent
initialement produits qu’en nombre limité puis écartés en raison, là aussi, de
leur inefficacité.
Cette étonnante prescience des autorités françaises à l’égard
des perspectives militaires offertes par l’artillerie chimique explique sans
doute le peu de zèle qui présida à la création et à l’entraînement des troupes
françaises dont la mission était de mener les attaques par vagues. Au cours de
l’été 1915, deux compagnies Z (n os 22/31 et 22/32)
furent formées dans le but de devenir des unités de guerre chimique [305] .
Elles étaient constituées de soldats inaptes au combat ou exemptés, ce qui en
dit long sur le rôle qu’on entendait leur faire jouer. Début novembre, ces
quelque 800 hommes étaient prêts mais leur capacité réelle et leur
compétence semblaient fort limitées. En conséquence, une troisième compagnie
fut créée (n° 22/33) et les soldats inaptes écartés. Recommandé par
Joffre, le lieutenant-colonel Soulié fut nommé chef du Service des compagnies Z
par le ministre de la Guerre au début de l’année 1916 [306] . Peu après, le 9 janvier 1916,
Joffre ordonna la création de trois nouvelles compagnies Z [307] (n os 22/34, 35 et 36).
De nombreuses autres substances chimiques firent l’objet d’investigations
sérieuses de la part des chercheurs français [308] .
Les corps auxquels les chimistes songèrent tout d’abord furent le phosgène, qui
présentait l’avantage d’être produit dans une usine française à Calais, et l’acide
cyanhydrique. Les expériences incitèrent d’emblée à alourdir leurs vapeurs
insuffisamment denses, en particulier celles de l’acide cyanhydrique [309] , et l’on étudia
le mélange de ces corps avec les chlorures d’étain, d’arsenic, et de titane.
Une production limitée fut lancée en juin 1915, mais le gouvernement
reporta leur utilisation sine die en raison de leur extrême toxicité [310] .
Les chercheurs français portèrent donc leurs efforts sur de puissants
lacrymogènes : l’iodacétone, le chlorure de benzyle orthonitré, l’iodure
de benzyle, ainsi que l’acroléine. Si les trois premiers furent abandonnés pour
des raisons techniques, le dernier remplaça à partir de 1916 le chloracétone
jusqu’alors contenu dans les grenades Bertrand n° 1. Cet agent
lacrymogène, éminemment toxique, était aussi un puissant suffocant. Il donna
entière satisfaction.
Aspects industriels et coopération interalliée
La France, dont l’industrie chimique était particulièrement
réduite, entreprit un remarquable effort industriel. Il n’est pas question de
retracer ici minutieusement le programme industriel français dans ce domaine,
mais il semble nécessaire de l’évoquer brièvement [311] . Si la
constitution des équipes de chercheurs compétents avait été relativement aisée,
la difficulté principale à laquelle devaient faire face les responsables du
programme chimique militaire était la faiblesse de l’industrie chimique
française. Seuls les Allemands possédaient une industrie chimique bien adaptée
aux productions de temps de guerre, et assez souple pour passer rapidement d’un
produit à l’autre dès que cela s’avérait nécessaire. Nous l’avons vu, les
toxiques utilisés au début du conflit par les protagonistes étaient pour la
plupart des corps halogènes : soit chlorés, soit bromés, soit iodés. Or,
la déclaration de guerre avait bien évidemment stoppé les importations de
chlore liquide et de brome en provenance d’Allemagne, dont la France était
totalement dépendante. Le pays se trouvait donc devant un problème
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