La grande guerre chimique : 1914-1918
résultats obtenus furent
médiocres [405] .
Il est clair que les chimistes français pâtirent tout au long de la guerre d’un
retard scientifique indéniable sur les Allemands. Les Français utilisèrent
uniquement le chlore pur jusqu’au début de l’année 1917, puis, après cette
date, y ajoutèrent du phosgène alors que les Allemands en usaient, dans leurs
émissions, depuis près de dix-neuf mois. Les gaz français ne pouvaient donc qu’exceptionnellement
déjouer la protection offerte par les masques respiratoires allemands. Avec
quelques mois de retard, l’évolution des conceptions tactiques françaises à l’endroit
des nuées dérivantes fut tout à fait comparable à celle observée chez les
Allemands. Les deux armées réalisèrent vite le peu d’intérêt des émissions de
gaz et se tournèrent vers des moyens de dissémination jugés plus prometteurs.
Cette inflexion, qui, à bien des égards, pouvait paraître logique, ne fut pas
celle suivie par les Britanniques…
L’entêtement britannique
Les Britanniques ne tardèrent pas à tirer les enseignements
de l’attaque de Loos. Il était dorénavant hors de question d’utiliser la
technique des nuages dérivants si les conditions météorologiques n’étaient pas
idéales. En outre, le major Foulkes entreprit immédiatement d’apporter des
améliorations au système de décharge du chlore en s’inspirant des modifications
techniques proposées par le capitaine Livens. Il avait été convenu qu’une
nouvelle émission de chlore aurait lieu le 13 octobre 1915 dans le
but d’appuyer une offensive de la I re armée sur une position
fortifiée allemande, baptisée par les Anglais Hohenzollern Redoubt, non loin de
Hulluch. La quantité de chlore utilisée serait largement inférieure à celle
relâchée dix-huit jours plus tôt mais le caractère limité de l’offensive
autorisait une plus grande souplesse dans le déclenchement de l’opération. L’infanterie
pourrait ainsi attendre les conditions météorologiques favorables à la nuée
dérivante pour se lancer à l’assaut des positions ennemies. À l’heure prévue,
fixée à 6 h 30, le 13 octobre, le vent était nul. L’offensive
fut donc repoussée. Enfin vers 13 heures, les conditions s’améliorèrent.
Les officiers des Special Companies ouvrirent les valves et le chlore commença
à s’élever, formant au-dessus du sol un lourd nuage qui prit la direction des
tranchées allemandes. Sidney Kemp, un éclaireur du régiment West Kents,
observait la scène du quartier général britannique : « L’attaque par
les gaz était en cours et je vis un énorme nuage blanc se former devant les
cylindres et s’élever à deux ou trois mètres au-dessus du sol. Une faible brise
venue de l’ouest commença à pousser le nuage vers les lignes allemandes.
Derrière les gaz, dans un ordre parfait, notre infanterie s’ébranla restant une
centaine de mètres en arrière du nuage. » [406] D’un point de
vue purement opérationnel, la progression de l’infanterie derrière les vapeurs
de chlore démontrait, après les erreurs accumulées à Loos, la parfaite maîtrise
des hommes du Génie lors de l’émission du gaz. Toutefois, ce succès technique n’empêcha
pas l’offensive d’échouer sur les fortifications allemandes. La progression
trop lente des 1 re et 46 e divisions britanniques
permit à l’ennemi d’amener de nouveaux renforts en premières lignes après que
le bombardement eut cessé. En outre, le chlore ne put produire pleinement ses
effets que dans de rares endroits.
Dans l’ensemble, et en raison des problèmes techniques
spécifiques aux nuages dérivants, la campagne chimique britannique de la fin de
l’année 1915 s’était révélée fort décevante. D’un point de vue tactique, les
gaz n’avaient pas permis d’exploitations significatives. Mais, il en fallait
plus pour abattre la détermination du major Foulkes… Au début de l’année 1916,
les Special Companies de l’armée britannique comptaient plus de 1 500 hommes
dont 34 officiers [407] . En raison du
développement rapide des hostilités chimiques, ces effectifs se révélèrent vite
insuffisants. Sous l’impulsion du major Foulkes, le War Office décida, le 1 er février 1916,
avec effet rétroactif au 17 janvier, que les quatre compagnies des Special
Companies seraient le noyau qui donnerait naissance à quatre nouveaux
bataillons de quatre compagnies, l’ensemble devant
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