La guerre de l'opium
devant un prêtre !
Il tendit une main vers elle, mais son visage s’évanouit.
C’est alors qu’il entendit Bowles murmurer d’une voix pâteuse :
— Quelque chose ne va pas, Nash ?
Il rouvrit les yeux et, au prix de mille efforts, réussit à répondre :
— Non, je chassais un moustique, avant de se recroqueviller un peu plus.
Comme toujours en pareil cas, lorsque l’alcool et le tabac combinaient leurs effets dans les neurones de son cerveau, il revivait l’ultime visite que Clearstone lui avait faite trois mois plus tôt, ce fameux soir où s’était produit ce qu’il persistait à qualifier de « fâcheux accident » et qui avait causé la mort de son malheureux rival.
Il rentrait chez lui, venant du pub, l’esprit peu clair, après une de ces dures journées de clôture des comptes de Jardine & Matheson au cours de laquelle il lui fallait vérifier des milliers de chiffres pour arrêter définitivement le bilan. À sa grande surprise, Brandon, qu’il croyait toujours en Chine, l’attendait sur le palier de son appartement. Vieilli, il avait aussi la mine mauvaise : son visage hâve et ridé faisait peine à voir et il puait l’alcool à plein nez.
À peine Nash avait-il ouvert la porte que le mari de Barbara, sans y avoir été invité, s’était engouffré à l’intérieur.
— Vous prendrez bien un petit verre de porto ou de cherry, lui avait proposé le chef comptable, sur ses gardes, qui ne voyait rien de bon dans cette visite inopinée.
— Je suis rentré de Canton.
— Je le constate…
La surprise de Nash était extrême et il ne savait trop quoi dire, ni quelles questions poser. Où était Barbara ? Et les enfants ? La réponse, non sollicitée, de Brandon n’avait pas tardé, et elle lui était tombée sur la tête comme un couperet.
— Je suis ruiné, Nash. Je suis revenu seul. J’ai laissé là-bas ma femme et mes deux enfants.
— Barbara est… est restée à Canton ?
La nouvelle l’avait consterné, bouleversé, retourné comme un gant en le faisant passer de l’espoir fou à la neurasthénie.
— Tout ça à cause de vous ! Regardez un peu ce que vous avez fait de moi ! avait hurlé le facteur de pianos en s’affalant sur le canapé de cuir où ce jeune chien fou de Bowles était à présent assis, un verre de brandy à la main et Dady sur les genoux.
La braguette du pantalon informe de Brandon Clearstone était largement ouverte. Clochardisé, son malheureux rival portait des habits constellés de taches dont il n’avait pas dû changer depuis la Chine…
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Je ne suis pour rien dans les malheurs qui vous arrivent, Clearstone ! Quant à Barbara, s’était récrié Nash, de plus en plus mal à l’aise, je suis bien payé pour savoir qu’elle n’en fait qu’à sa tête !
— Je ne mélange rien ! Barbara et les enfants sont restés à Canton. Elle s’est entichée d’un pasteur baptiste… un Américain… Un certain Issachar Roberts… Tandis que moi, j’ai dû revenir à Londres les poches vides. Savez-vous combien j’ai vendu de pianos, Stocklett ? Zéro pointé, s’il vous plaît ! Votre tuyau, il était bien crevé. Le pire, c’est que vous deviez le savoir ! Vous m’avez envoyé à l’abattoir !
Du discours erratique hurlé par Brandon dont le visage suintait la haine par tous les pores, Nash n’avait retenu qu’un élément : Barbara - sa Barbara ! - était restée là-bas, aux mains de ce Roberts, un pasteur baptiste probablement aussi allumé que tous ses congénères…
— Vous dites n’importe quoi. Je n’y suis pour rien ! Personne ne vous a obligé à partir en Chine ! Sortez d’ici, ou je me verrai dans l’obligation d’appeler la police !
Brandon s’était levé comme un ressort avant de sortir de sa poche un minuscule pistolet avec lequel il l’avait mis en joue.
— Salaud de menteur ! Votre plan, je compte bien vous le faire payer très cher ! avait hurlé le mari de Barbara dont les mains tremblantes serraient très fort le pistolet.
En regardant ses yeux de fauve blessé, Nash avait parfaitement compris que Brandon était prêt à tuer.
— Je ne suis pas un menteur… Veuillez sortir immédiatement ! avait bredouillé le chef comptable de Matheson & Jardine, de plus en plus paniqué.
— Et ça !… n’est-ce pas vous qui avez écrit ça à Barbara ?
Son
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