La guerre de l'opium

visiteur lui avait brandi l’ultime lettre qu’il avait remise à Laura à l’attention de Barbara, quelques jours après le fameux dîner au cours duquel il avait mis dans la tête de Brandon cette histoire de vente de pianos en Chine.
    —  En effet   ! Je ne renie jamais ma signature.
    —  Et ce divorce auquel vous incitiez ma femme, Stocklett, en l’exhortant à me laisser partir seul à Canton, qu’est-ce que vous en dites, hein   ? Vous êtes un ignoble personnage, Stocklett   ! Quand je pense que vous êtes allé jusqu’à lui promettre de ne pas me réclamer les loyers impayés et même d’avancer à sa famille l’argent que celle-ci continue à me devoir afin qu’elle me rembourse   ! Heureusement pour vous que cette pauvre Barbara n’a jamais lu les termes de cet ignoble marché   !
    Pris de court, comprenant enfin les raisons de l’absence de réponse de Barbara à sa missive, puisqu’elle ne l’avait jamais reçue, Nash n’avait pu que demeurer coi.
    —  Alors, qu’est-ce que vous en dites   ? N’ai-je pas sous les yeux le plus grand des salauds que la terre ait jamais compté   ? avait ânonné la voix pâteuse de Brandon, dont le doigt s’apprêtait à appuyer sur la détente de son arme de poing.
    Nash, à la merci du revolver du désespéré, se voyait déjà mort.
    Mais heureusement pour lui, ce soir-là, le plus soûl des deux était Brandon Clearstone, dont il voyait parfaitement qu’il tenait à peine sur ses deux jambes.
    Alors, avec l’énergie du désespoir, l’ancien amant de Barbara avait joué son va-tout et plongé vers la seule chaise à sa portée avant de l’asséner de toutes ses forces sur le crâne de son adversaire, qui s’était instantanément écroulé à ses pieds.
    Depuis, il avait toujours à l’esprit le sinistre craquement provoqué par l’éclatement de la boîte crânienne de Brandon lorsque la chaise s’était abattue pour la troisième fois sur sa tête ensanglantée.
    Lorsqu’il s’était jeté, hagard et en sanglots, sur le corps de Brandon afin de s’assurer des conséquences de ce terrible impact, le mari de Barbara ne bougeait déjà plus.
    Il l’avait bel et bien tué et ne s’était pas longtemps demandé ce qu’il devait faire du cadavre.
    Appeler la police, c’était risquer la prison à vie pour meurtre, au mieux - mais encore faudrait-il en apporter les preuves objectives   ! - sans préméditation… C’était surtout perdre toute chance de revoir Barbara   ! Tout ça, finalement, encore à cause de Brandon. Brandon qui, même mort, continuait à le poursuivre   ! Il n’avait donc pas d’autre choix que de faire disparaître le corps. Faisant fi de tout état d’âme et tout à sa rage de ne pas gâcher la moindre chance de refaire sa vie avec Barbara, Nash Stocklett s’était immédiatement mis au travail, avec sang-froid et efficacité.
    Il s’était emparé d’un drap de lit et en avait enveloppé le corps sans vie de la victime puis, jusqu’à épuisement, il avait lavé à grande eau le parquet du salon pour nettoyer les traces de sang et les morceaux de cervelle dont il était maculé.
    Quant à l’élimination du corps, elle n’avait pas posé de problème particulier : suffisamment de sbires, dans les rues de Londres, louaient, moyennant finances, la force de leurs bras pour transporter toutes sortes de marchandises pondéreuses.
    Le lendemain du drame, dès l’aube, Stocklett, pour quelques livres, avait déniché deux gaillards du quartier des docks qui l’avaient débarrassé du corps de Brandon Clearstone, lequel s’était retrouvé, moins de deux heures plus tard, au fond de la Tamise, lesté de lourdes pierres à chacune de ses extrémités.
    Mais ce sordide nettoyage, Nash n’arrêtait pas de le revivre, à l’occasion de cauchemars qui venaient le hanter chaque nuit. Les remords ne le quittaient pas.
    Pour éviter de s’y noyer, il essayait de se persuader que son crime était un acte de légitime défense, que s’il n’avait pas tué Brandon c’est lui que Brandon eût tué, mais ces considérations ne l’empêchaient pas de s’en vouloir terriblement.
    Car ce départ, il lui était dû, à lui, Nash Stocklett, et à personne d’autre.
    C’était ce voyage qui était à l’origine de tous les malheurs de la famille Clearstone.
    Et à présent le résultat désastreux était là : Brandon était mort et Barbara était restée en Chine. La pauvre Barbara était veuve et ne le