La guerre de l'opium

vite, sous prétexte que le Fils du Ciel s’impatientait…
    Accablé et mort de honte, il repensait à l’ignoble traque et à l’infamant supplice des Dix Mille Couteaux qu’il avait été obligé d’organiser pour essayer d’extorquer à ce pauvre calligraphe Bouquet de Poils Céleste le fameux certificat portant le cachet officiel de Daoguang. Mais le supplicié avait refusé de parler et gardé pour lui son secret. Par sa naïveté, il était responsable de la mort injuste d’un homme qui n’avait rien à se reprocher.
    —  Je suis coupable d’avoir laissé massacrer un innocent   ! gémit-il avant de révéler à son vieux maître ce qu’il était advenu du pauvre Bouquet de Poils Céleste.
    —  N’était-il pas calligraphe de son métier   ?
    —  Et même, l’un des tout meilleurs de Canton   ! Comment donc l’avez-vous deviné   ?
    —  À son nom, mon cher Tang   ! Dis-moi quel est ton nom et je te dirai qui tu es et d’où tu viens… Sans compter que les fils cachés de l’empereur sont souvent confiés à des lettrés chargés de pourvoir à leur éducation… Heureusement pour moi qu’une telle tâche ne m’échut pas… J’aurais été bien embarrassé d’avoir à m’occuper d’un énième rejeton impérial… et puis, finir sous les Dix Mille Couteaux, très peu pour moi   ! soupira le vieil homme. Tang, anéanti, était incapable de répondre au sage. C’était tout un pan de sa vie qui s’écroulait, ensevelissant des montagnes d’illusions qui laissaient à la bouche un goût des plus amers. Il se revoyait bouffi d’orgueil et bardé de certitudes, se croyant important et utile, étendant la main sur l’énorme vase rituel du code pénal sous le regard impavide et lointain de Daoguang qui n’en avait cure… S’il avait su jusqu’où, dans l’abjection, le conduirait ce funeste serment d’allégeance, il eût refusé de le prêter   !
    —  Je ne suis qu’un pauvre type   ! souffla-t-il en étouffant un sanglot.
    —  Seules les âmes généreuses peuvent être manipulées par les êtres pervers. La droiture est souvent naïve   ! Le jeune veau qui vient de naître ne craint pas le tigre   !
    —  Je ne suis pas - hélas   ! - si jeune que ça   !
    —  Comparé au vieillard que je suis, tu es encore un jeune homme, mon cher Tang   !
    —  Votre indulgence me touche, mais elle n’est pas de mise   ! Je me suis bel et bien couché devant une autorité usurpatrice.
    —  Le meilleur cheval peut tomber et l’histoire n’est jamais finie, ô Tang, tant que son héros ne lâche pas prise… Il ne dépend que de toi que cet enfant impérial soit sauvé… et échappe ainsi au funeste destin auquel l’a promis le clan des comploteurs   !
    Le prince, dont le beau regard reconnaissant et ému allait de Jasmin Ethéré à Prospérité Singulière, les deux êtres auxquels il tenait par-dessus tout, posa un genou à terre.
    —  Comme j’ai bien fait de venir vous voir   ! Vos propos sont un baume pour mon cœur… Je vais mettre tout en œuvre pour réparer ma triste bévue…
    —  Je n’en doute pas… répondit Prospérité Singulière d’une voix infiniment douce.
    —  Je le jure sur la tête de Jasmin Éthéré : je remuerai des montagnes pour retrouver ce bâtard et qu’il ait la vie sauve, et pour que, le cas échéant, il puisse faire valoir ses droits impériaux   ! Tout enfant a le droit de connaître son père   ! conclut le noble Han ému aux larmes.
    —  Je comprends, ô combien   ! tes motivations… souffla son vieux maître, d’une voix qui en disait long.
    Après avoir bu un dernier bol de thé, Tang prit congé de Prospérité Singulière et lorsque ce fut au tour de Jasmin Éthéré de venir le saluer, preuve qu’elle avait réussi son examen de passage, le vieux sage prit la jeune femme dans ses bras et l’embrassa sur le front.
     
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    —  Et si nous montions au sommet de la tour de Porcelaine   ? De là-haut, la vue sur Nankin est splendide   ! proposa Tang à la jeune femme lorsqu’ils franchirent le seuil de la demeure du vieux maître à penser.
    —  Pourquoi pas   ! Nankin est une si belle ville…
    C’était la première fois que Jasmin Éthéré répondait par un oui implicite à une suggestion que le prince lui faisait.
    Il est des jours où plusieurs pages se tournent dans le livre de la vie d’un homme ou d’une femme…
    Lorsqu’ils pénétrèrent à l’intérieur de