La guerre des rats(1999)
de ses moufles, tendit la main vers ses sandwiches, déballa l’un d’eux et mordit dedans. Il aurait dû garder ses provisions pour plus tard dans la journée, quand la faim le tenaillerait vraiment, mais l’incertitude lui donnait envie de manger.
Assis dans le silence de cimetière du mur, sous un ciel bleu, il oublia un moment Thorvald, enfoui dans la terre comme un asticot gras et blanc. Nikki leva les yeux vers le Mamayev Kourgan, les voies ferrées courant derrière les ruelles, cette ville brûlée, détruite, si claire ce jour-là. Il s’imagina en unique survivant de Stalingrad. Que ferait-il ? Il se construirait une maison avec les décombres ? Il se lèverait et partirait ? Pour aller où ? Non, il resterait assis au soleil. Il mangerait son dernier sandwich. Peut-être irait-il dans la cachette de l’asticot pour manger ses sandwiches à lui aussi.
Nikki ne bougea pas de l’après-midi. Pas question de s’éloigner de la brèche, car Thorvald pouvait avoir besoin de lui à tout moment. Il s’étira, s’allongea sur le ventre, remonta la couverture sur lui. Est-ce qu’il croit en Dieu, Thorvald ? Est-ce qu’il Lui demande de le rendre fort ? Ou, comme moi, ne croit-il en Dieu que lorsqu’il en a besoin, quand il a des ennuis ? Mon Dieu, sortez-moi de là. Je vous en supplie, mon Dieu, je crois, je crois toujours, même quand Vous n’entendez pas parler de moi. Ramenez-moi au pays sain et sauf, et je croirai plus fort encore, je le jure.
Vers la fin de l’après-midi, le soleil projeta de longues ombres à travers le parc, s’abaissa pour briller au-dessus des épaules de Thorvald caché dans sa hutte. Nikki avala son dernier sandwich après avoir essayé de voir, par jeu, jusqu’à quel point il pourrait laisser croître sa faim. Les cris de son estomac l’avaient aidé à rester en alerte.
Voix de Thorvald :
— Nikki, vous êtes là ?
Le caporal, mort d’ennui, chercha une réponse.
— Nikki ?
— Oui, mon colonel. Je suis là.
— Il est temps de voir si nous avons de la compagnie.
Nikki retint sa respiration.
— Vous avez vu quelque chose ?
— Peut-être. Je ne suis pas sûr, mais j’ai cru voir quelque chose briller à l’endroit où étaient postés les deux tireurs russes, hier.
— C’est le Lièvre ?
La voix étouffée portait un sourire :
— Disons que c’est là qu’il devrait être, d’après moi.
Oui, c’est lui, pensa Mond. Zaïtsev, le héros des journaux. Bien sûr qu’il était venu là où ses amis étaient morts. Son sens de la vengeance devait être digne du mélodrame. Le Lièvre ne connaît pas Thorvald, mais Thorvald le connaît. Le colonel avait observé cet endroit toute la journée, attendant que les rayons du soleil tombent de façon à créer ce reflet.
— Le casque sur la pelle, vite ! ordonna Thorvald. Faites cinquante mètres sur la gauche puis montrez-le et revenez vers la droite.
Nikki ramassa la pelle. Derrière lui, il entendit le colonel se chanter à lui-même dans son cocon :
— Viens par ici, mon lapin. Petit, petit…
23
— Là ! Là, Vassili ! J’ai vu quelque chose. Un… un casque. Regarde. Vite, bon Dieu !
Zaïtsev venait de terminer son tour de guet et avait les yeux fatigués d’avoir inspecté le parc avec le périscope pendant une heure. Il avait remis ses moufles et se reposait, le dos au mur, depuis moins d’une minute quand Koulikov repéra quelque chose.
Le Lièvre ôta ses gants, reprit le périscope tandis que son compagnon continuait à jurer.
— Où ça ? demanda-t-il, levant l’instrument au-dessus des briques.
— Le mur, à l’autre bout du parc. Derrière le char. Là-bas.
Là-bas !
— Calme-toi, Nikolaï, je vais le trouver.
Jamais Zaïtsev n’avait vu son ami aussi excité. Il est intrigué par ce Professeur. Moi, je vis avec Thorvald depuis une semaine, maintenant. Nikolaï vient juste de commencer.
— Il se déplace vers la gauche, murmura Koulikov.
Pas la peine de murmurer, pensa Zaïtsev. Thorvald est assez près pour recevoir une balle, mais on peut parler normalement.
Il observa le mur, distant de deux cent cinquante mètres. Le soleil qui se couchait devant lui entourait tout le paysage d’une aura floue et rendait difficile d’identifier une forme. Thorvald le sait, ça, bien sûr. Il s’est mis là exprès pour que le soleil lui donne l’avantage à cette heure de la journée. Moi, je l’avais ce matin. Il le sait aussi : la matinée est passée sans
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