La guerre des rats(1999)
avait réquisitionné une pelle à un soldat, à l’arrière. Quand il fit complètement noir, Nikki entreprit de creuser un terrier sous la tôle.
Il déposa la terre provenant du trou sur une bâche que le colonel alla secouer derrière le mur. Thorvald recommanda au caporal de prendre garde, en creusant, de ne pas déranger l’alignement des briques côté russe du parc.
Deux heures plus tard, Thorvald passa la tête pardessus le trou de tireur qu’il avait créé. La fosse était maintenant assez profonde pour que la tête d’un homme à genoux effleure juste la tôle. Le toit de métal maintiendrait Thorvald dans l’ombre toute la journée. Le trou, les briques et la tôle cacheraient son corps, mais étoufferaient aussi le bruit de son fusil.
Nikki termina son travail, rampa hors du terrier et, épuisé, s’assit à côté de Thorvald. Le colonel était plus fringant.
— Voyons un peu ce que nous avons là, caporal, chantonna-t-il en se glissant sous le métal.
Nikki l’entendit rire dans le trou.
— Oh ! c’est excellent.
La voix, déformée et inquiétante, semblait surgir de nulle part.
Le lendemain matin, Thorvald descendit dans le trou avec plusieurs couvertures, deux boîtes de munitions, une bouteille Thermos et deux sandwiches. Mond resta dix mètres derrière, de l’autre côté du mur, avec des provisions lui aussi, pour attendre les instructions du colonel.
Thorvald demeura immobile et silencieux dans sa cachette jusqu’en fin d’après-midi. Quand le soleil fut derrière lui, il tira sur plusieurs officiers de santé venus secourir des blessés. Nikki, qui observait la scène dans ses jumelles, grimaçait à chaque détonation étouffée. Les coups de feu lui chaviraient l’estomac, comme des coups de poing.
Le caporal trouvait méprisable de tirer sur des infirmières, plus méprisable encore de se réjouir de les abattre. Après chaque pression de son doigt sur la détente, Thorvald annonçait le score : « Un… deux… eeet trois. » Nikki croyait avoir terrassé sa conscience depuis longtemps, mais elle revint le tourmenter quand le colonel fit de nouvelles victimes. Il connaissait la réponse à sa propre question avant même de se la poser : Est-ce juste ? A-t-il le droit de massacrer des infirmières et des blessés, de s’en servir pour appâter le Lièvre comme de simples carottes dans un piège à lapin ? Oui, bien sûr. Dans Stalingrad, il ne s’agit plus de distinguer le bien du mal, ni même de gagner, mais seulement de survivre. Je veux rentrer, pensait Nikki. Combien de personnes suis-je prêt à laisser mourir dans ce but ? Il ne put donner un chiffre. Tout le monde ?
Le deuxième jour commença comme le premier. Avant l’aurore, Thorvald se coula dans sa cachette, y demeura sans bouger jusqu’à la fin de l’après-midi, puis tira deux fois avec la vitesse d’une arme automatique, marqua un temps d’arrêt, tira une troisième fois.
— Trois de plus, dit-il simplement à Mond.
Cette nuit-là, les deux hommes regagnèrent leurs quartiers sans échanger un mot. Le colonel semblait dans une phase de concentration intense : le duel avec Zaïtsev avait commencé.
À l’aube du troisième jour, alors que le soleil redonnait des couleurs au parc, Nikki entendit la voix métallique de Thorvald :
— Caporal, nous avons de la compagnie.
Nikki défit la couverture entourant ses épaules, prit les jumelles. Il s’apprêtait à regarder pardessus le mur quand, de sa tanière, Thorvald murmura :
— Restez baissé. Tireurs embusqués.
Pendant le reste de la matinée, Mond attendit, accroupi derrière le mur. Tendu, il se demandait si le Lièvre en personne se trouvait dans le collimateur de Thorvald. Il attendit des heures, les nerfs à vif. À midi, quand le soleil fut au plus haut, la voix du colonel sortit de nouveau du trou :
— Postez-vous trente mètres plus loin sur la gauche. Placez votre casque sur le manche de la pelle et faites-le dépasser juste assez pour qu’on croie que c’est votre tête. Et avancez vers la gauche comme ça. Nikki, vous m’entendez ?
— Oui, mon colonel.
— Alors, allez-y. Si le casque est touché, laissez-le tomber tout de suite.
Mond s’exécuta. À peine avait-il parcouru quelques mètres que le casque, frappé par une balle, tourna au-dessus de la pelle. Nikki lâcha tout ; dans l’écho de la détonation, il retourna prestement à son poste de guet, derrière Thorvald.
— Je ne vous ai pas entendu, mon
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