La guerre des rats(1999)
hais la peur.
Il paiera. Hier, ce n’était qu’une mission interrompant mon travail à Gnössen. Une tâche dont je ne voulais pas. Maintenant, c’est devenu une affaire personnelle. Le Lapin mourra. Mais la priorité, Heinz, c’est de rester allemand, de garder un esprit ordonné, malgré la peur. Es-tu d’accord ? Bien. Alors, reprends, avec froideur et précision.
Je me demande pourquoi j’ai tiré. En fait, ce n’est pas si important. Je sais : j’ai pressé la détente, parce j’étais prêt à le faire, tendu comme une corde à piano. La cible a appelé elle-même la balle. Ça se passe comme ça, sans réfléchir.
Bon. Mais qu’est-ce qui a fait surgir la cible ?
Thorvald repassa dans sa tête le moment où il avait appuyé sur la détente. Le réticule partageait de ses fils le périscope, et soudain, sans raison, l’homme s’était dressé, exposant sa tête et son torse. Thorvald avait senti la crosse de son arme boxer son épaule. Il ne se rappelait pas s’il avait ajusté sa visée pour suivre la tête. Non, il avait probablement touché l’épaule. C’était aussi bien. Mouche, aucun doute.
L’homme s’est levé. Il a tendu le bras.
Vers moi.
Il avait dû me voir. Il a tendu le bras.
Vers moi. J’ai tiré. Il est tombé.
Qu’aurait-il pu désigner d’autre ?
Qui d’autre aurait-il pu voir ? Mond ?
Mond.
Thorvald se tourna vers l’arrière de sa cachette, nota l’impatience de sa voix quand il cria :
— Nikki !
Le caporal ne répondit pas.
Il appela de nouveau. Je ne peux pas me faire entendre dans ce fichu trou, pensa-t-il. Il attendit.
Finalement, la voix de Mond s’éleva de l’autre côté du mur.
— Vous avez tiré, mon colonel ? J’ai cru vous entendre. Vous l’avez eu ?
— Où étiez-vous ?
— À cinquante mètres sur la droite, avec le casque et le bâton.
Thorvald se raidit.
— Vous avez montré le casque ?
— Oui, mon colonel. Comme vous me l’aviez demandé.
Thorvald l’aurait giflé.
— Caporal, je vous ai demandé de préparer le casque, pas de le montrer. Vous avez failli me faire tuer !
Il frissonna en prononçant ces mots, se revit enroulé sur lui-même comme une de ces créatures humides qu’on trouve sous les pierres. Cette scène l’avait avili ; elle sapait son sentiment de contrôler la situation, ici, à Stalingrad.
— Caporal, asseyez-vous là où vous êtes et restez-y ! Vous ne faites plus rien sans mon ordre ! Compris ?
Mond commença d’un ton penaud :
— Oui, mon colonel. Je pensais…
— Silence !
Thorvald la crachait hors de lui, cette tache de honte que la peur avait laissée en se retirant.
— Ne pensez pas ! C’est moi qui pense. Vous vous taisez, vous attendez que j’aie fini de parler, un point, c’est tout ! ajouta-t-il, conscient de s’adresser au caporal comme à un mioche désobéissant.
Il retourna en se tortillant à l’avant du trou, regarda entre les briques. L’homme au périscope avait vu le casque de Mond, c’était pour cette raison qu’il s’était dressé au-dessus du mur.
Qui est-ce ? Pas un tireur d’élite. Un tireur n’aurait pas fait ça. Que vient-il faire dans mon duel avec Zaïtsev ? Et qu’est-ce que Zaïtsev a à voir avec ce qui s’est passé ? Le Lapin contrôlait-il la situation ? Avait-il prévu d’utiliser l’homme au périscope comme appât, ou la chose était-elle arrivée d’elle-même ? Sachant que j’avais eu recours au truc du casque ces deux derniers jours, avait-il délibérément emmené un idiot à la chasse en lui disant : « Si tu vois un casque au-dessus du mur, lève-toi pour me le montrer » ? La légende russe était-elle capable d’un tel acte ? Zaïtsev raisonne-t-il assez froidement pour essayer de me prendre avec un appât vivant ? D’ailleurs, était-ce même Zaïtsev ? L’homme au périscope faisait peut-être partie d’un autre groupe de tireurs embusqués de second ordre, des lapereaux envoyés pour repérer mes traces. Ou quelqu’un d’autre encore, un infortuné soldat ignorant tout des regards surveillant le parc à la lunette, un intrus aventuré par mégarde sur notre champ de bataille, un quelconque correspondant de guerre américain ou anglais arpentant le front en quête de nouveauté…
Que s’est-il passé ?
Thorvald reconnut qu’il n’en savait rien.
Cela le troubla. Il comptait bien se montrer plus intelligent que le Lapin et, jusque-là, les événements s’étaient déroulés sous son contrôle.
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